Droit et Société - Volume 38 - Sociologie de la médiation judiciaire - 10

Philippe CHARRIER
Du coté des praticiens, on assiste depuis une dizaine d'années à un désenchantement
qui fait écho au tableau que nous venons de dresser du champ de la
recherche sur la médiation. Après des décennies où il semblait y avoir une synergie
entre le développement de la pratique, des études et recherches sur la
médiation, un volume croissant de médiations réalisées, concomitamment au
ralentissement des recherches et publications scientifiques en France, les professionnels
de la médiation formulaient un constat globalement amer quant à
l'émergence de la médiation comme mode de résolution des conflits en France.
Près de quarante ans après l'émergence de la médiation, quelles que soit les
domaines d'application, il est à présent récurrent d'entendre de leur part, que la
présence de la médiation n'est non seulement pas assez forte au sein de notre
pays, mais de plus qu'elle subit des oppositions, des résistances, des transformations
illégitimes. Nous avons recueilli ce discours en tant que chercheur
mais également en tant que responsable de formation et enseignant dans une
filière universitaire en médiation, filière qui n'a cessé de se développer et de
rencontrer un réel succès tant en formation initiale que professionnelle depuis
les années 2010. Nous avons ainsi côtoyé pendant de nombreuses années ce
« monde de la médiation » et ses attentes plus ou moins déçues envers la place
que tient cette activité aujourd'hui en France.
Il n'est pas du ressort du chercheur de statuer sur cette perception, ni, le cas
échéant, de trouver des remèdes à cet hypothétique désenchantement. Il nous
semble plus pertinent de partir de ce constat et de tenter de comprendre ce
qu'est devenue la médiation dans cette première décennie du XXIème siècle. De
la sorte, ce qui peut apparaître comme un questionnement propre aux médiateurs
et aux intellectuels de la médiation (pourquoi la médiation ne s'est pas
imposée comme un mode de régulation des conflits incontournable ? Pourquoi
les prévisions concernant le développement des médiations ne se sont pas confirmées
5 ?) est à l'origine de notre questionnement de chercheur, même si c'est
une autre question qui va être notre fil rouge dans ce volume.
Beaucoup de médiateurs, de partisans et d'intellectuels de la médiation ont
pensé que cette dernière allait s'imposer d'elle-même dans notre espace institutionnel,
politique et social, au point que certains l'on perçue comme une sorte
de panacée à tous les maux de notre société qualifiée de post-moderne. Le principal
écueil de cette perspective est de ne pas considérer ou bien de minimiser
la force des régulations sociales préexistantes et antérieures à la médiation.
Elles ne sont pas vouées à disparaître ou à laisser leur place à la médiation
comme par enchantement ou mécaniquement parce que l'offre nouvelle de régulation
serait jugée plus opportune et/ou efficace par les utilisateurs. S'il y a
résistance, elle s'explique avant toute chose parce que ces systèmes de régulations
visent à garder leur place ou leur situation parmi l'offre de résolution des
conflits, si on emprunte une analogie économique. Les porteurs de la médiation
5.
Jean-Pierre BONAFE-SCHMITT, Jocelyne DAHAN, Jacques SALZER, Marianne SOUQUET et JeanPierre
VOUCHE, Les médiations, La médiation, Eres, Ramonville-Saint-Agne, 1999.
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Recherches et travaux, vol. 38/2023
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