Droit et Société - Volume 38 - Sociologie de la médiation judiciaire - 111

Chapitre 5 - La médiation contre les institutions judiciaires ?
Il souligne que l'institutionnalisation est souvent présentée comme un « mal »,
« parce qu'elle menace la souplesse qui préside à l'élaboration et à l'expérimentation
de toute nouvelle pratique sociale » 84. Mais il recommande de ne pas
confondre deux formes assez distinctes d'institutionnalisation. D'une part, il y a
« l'auto-institutionnalisation ». Elle se caractérise par plusieurs éléments objectivables
comme le processus de standardisation et de réglementation, le développement
d'une procéduralisation ou de rituels spécifiques, la professionnalisation,
et des formes de légitimations publiques de l'action sociale passant par
une reconnaissance politique et/ou juridique. D'autre part, il y a l'institutionnalisation
qui procède d'une sorte de récupération institutionnelle. Elle peut
porter atteinte à l'intégrité de la pratique sociale innovante, introduire un rapport
de dépendance de la pratique la moins établie (ou la moins institutionnalisée)
vis-à-vis de celle la mieux instituée, notamment en ce qui concerne
l'initiative de la prise en charge des affaires. Pierre Noreau nomme cette seconde
dynamique la « méta-institutionnalisation ». Si l'on suit ce raisonnement,
les intellectuels de la médiation rejettent plus une institutionnalisation subie que
l'auto-institutionnalisation en tant que telle.
Comme le rappelle ce juriste, le problème n'est pas tant le passage de
l'innovation à l'institution, mais les conditions de ce passage 85. Ces modalités
peuvent être lourdes de conséquences pour la pratique sociale en question.
Dans un cas, l'institutionnalisation aboutit à ce que les pratiques innovantes se
cristallisent dans des formes stables mais autonomes. Dans l'autre, l'institutionnalisation
se traduit par la création de dépendances des procédés innovants envers
les mécanismes sociaux déjà institués, car les premières produisent des
pratiques hétéronomes. Ces dynamiques ne sont pas pour autant indépendantes
l'une de l'autre. Ces deux formes de d'institutionnalisation peuvent se développer
parallèlement. Pour ce qui est de la médiation en France, il nous semble que
l'exemple de la médiation familiale illustre un cas où les deux formes
d'institutionnalisation se sont construites parallèlement pour parvenir à la situation
actuelle. Néanmoins, elle n'est pas encore parvenue à un achèvement complet
dans le sens où la médiation familiale non instituée (non judiciaire) existe
mais ne bénéficie pas d'une assez grande légitimité pour être suffisamment
« auto-instituée ». À l'inverse, la médiation familiale judiciaire ne monopolise
pas le champ et n'a pas de prétention à favoriser une pratique de médiation très
différente de celle « auto-instituée ».
La posture des intellectuels de la médiation est représentative du dilemme
de l'institutionnalisation de pratiques innovantes, dans le sens où la standardisarence
à la transgression d'une règle pour considérer que le problème principal posé par un délit
est le préjudice qu'il implique. Pour eux, la fonction principale de la réaction sociale est de
créer des conditions pour qu'une réparation et/ou une compensation raisonnable des préjudices
puisse se réaliser. (Pierre NOREAU (en collaboration avec Romilda MARTIRE), « De
l'institutionnalisation de la justice réparatrice », dans Mylène JACCOUD, Justice réparatrice et
médiation pénale : Convergence ou divergence ?, L'Harmattan, Paris, 2003, p. 209-225).
84. Idem, p. 201.
85. Pierre NOREAU, art. cit., 2003, p. 211.
Recherches et travaux, vol. 38/2023
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