Droit et Société - Volume 38 - Sociologie de la médiation judiciaire - 248

Philippe CHARRIER
nous semble que l'accompagnement dont nous parlent les magistrats prescripteurs
de médiation participe de ce travail de redéfinition. En effet, les tensions
contemporaines sur la fonction de juger, entre la crainte de multiples formes de
dessaisissement (comme le prouve la montée du thème de la déjudiciarisation)
et les attentes pourtant toujours confirmées des acteurs sociaux envers une justice,
notamment comme réceptacle d'une exigence démocratique de débat (d'où
la tendance à ce que l'espace judiciaire devienne un forum), entrent en résonnance
avec la montée de la médiation judiciaire. Car l'objectif parfois explicite
des magistrats médiateurs est bien de fournir aux justiciables un espace de discussion
afin qu'ils se donnent la possibilité de trouver la solution idoine,
d'exercer une activité normative sous l'égide de l'institution judiciaire, sans
que le juge n'ait vocation à s'ériger comme censeur 21. Favoriser cet espace de
discussion est donc la destination de cet accompagnement. Il fait écho à
« l'éthique de la discussion » de Jürgen Habermas 22 en vertu de laquelle « une
norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent
être concernées sont d'accord (ou pourrait l'être) en tant que participant à une
discussion pratique sur la validité de cette norme »23. De la sorte, les magistrats
médiateurs, en prescrivant la médiation, participent implicitement à cette
œuvre, à mettre en concurrence une norme générale et abstraite contre une
norme plus individualisée et issue d'une décision partagée.
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Ces deux modèles doivent être compris comme des pôles à partir desquels
les magistrats prescripteurs peuvent être positionnés. Il demeure que des déplacements
peuvent s'observer, particulièrement d'un pôle (pragmatique) à l'autre
(médiateur). La posture des magistrats par rapport à la médiation n'est pas toujours
aussi arrêtée que notre présentation le laisse paraître. Mis à part les cas où
le magistrat demeure dans une prescription extrêmement cadrée et limitée aux
« possibles juridiques », la discussion est toujours présente. Nous avons été
marqués par le fait que pour ceux qui débattent de la meilleure manière de
prescrire, ceux qui bataillent pour faire vivre le dispositif de médiation, c'est en
usant du « nous » à de nombreuses reprises que les opérations ont été présen21.
Le travail de « censure » pourrait être réalisé lors de l'homologation des accords de médiation.
Cependant, une part des accords ne revient pas sur le bureau du magistrat, parfois parce que
les médiés ne la souhaitent pas, parfois parce qu'ils opèrent un simple désistement de
l'instance. Quant aux cas où celle-ci est demandée, les magistrats prescripteurs ne sont pas favorables
à la pratique de l'homologation systématique (d'après les éléments recueillis dans
nos différentes recherches auprès des magistrats). Certains magistrats médiateurs vont même
jusqu'à déconsidérer tout droit de regard, ou bien à déléguer ce travail de vérification juridique
aux avocats, s'ils sont présents. Une autre pratique quelque peu équivalente est de réaliser
une homologation purement administrative, notamment en matière familiale, c'est-à-dire
sans audience.
22. Jürgen HABERMAS, op. cit., 1981 ;
23 Jürgen HABERMAS, Morale et communication, Edition du Cerf, Paris, 1987, p. 86-87.
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Recherches et travaux, vol. 38/2023

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