Droit et Société - Volume 38 - Sociologie de la médiation judiciaire - 31

Chapitre 1 - Petite histoire de la médiation
des emplois de médiateur que la médiation sociale a débouché, ce qui permet
conclure à une professionnalisation « inachevée » 46.
Cependant, à bien y regarder, si cet épisode fut peu favorable aux médiateurs,
il le fut plus pour la médiation. Conforté par une efficacité supposée et
finalement peu interrogée 47, la médiation sociale a eu pour atout de réunir deux
objectifs sensibles des politiques publiques : la lutte contre le chômage et la
lutte contre le « sentiment d'insécurité ». En effet, souvent insérés dans des
Contrats Locaux de Sécurité (CLS), ces agents locaux de médiation sociale
(ALMS) avaient certes des missions peu précises quant à leurs actions concrètes,
mais leurs fonctions touchaient souvent à la sécurisation dans les transports, les
établissements publics telles les maisons de quartier ou les médiathèques.
Dans le même ordre d'idée, l'investissement dans la médiation d'acteurs
privés ou semi-publics du secteur du logement social répondait également à
cette attente de sécurisation 48. Qu'elle se traduise sous la forme des « médiateurs-concierges
» 49 ou bien d'agent de tranquilisation dans les espaces urbains
et des transports, cette forme de médiation qui s'attaquait à des conflits « non
réalistes » apparaissait comme un « remède aux conflits dans la ville » 50. Toutefois,
cette forme de médiation s'éloigne de la gestion de conflit. De manière
presque paradoxale, ces médiateurs ne pouvaient être dans le conflit, car « s'il
leur faut signaler un climat tendu, repérer des comportements à risques, parfois
organiser une rencontre entre les parties, la résolution de conflits reste le monopole
de professionnels reconnus et installés » 51. On voit que ces médiateurs développaient
leur autorité à agir dans de nombreux domaines mais assez peu
dans ce qui fait le cœur de la médiation. Il s'agit là sans doute d'une des
sources du relatif échec de la médiation sociale en matière d'insertion professionnelle,
cette incapacité à donner à l'action des médiateurs un contenu assez
spécifique et relevant effectivement de la médiation, pour être identifié comme
telle.
Ces expériences de médiation sociale conduisent à conclure à un sentiment
d'instrumentalisation d'un processus novateur à partir du moment où elles entrent
dans le registre de l'action publique. Il reste que l'épisode a marqué dans
le même temps une forme de reconnaissance (tronquée) de la médiation dans
son ensemble. On doit également retenir qu'elle perd, dans cet épisode, de sa
46. Sophie DIVAY, « La médiation sociale : une professionnalisation inachevée », dans
Knowledge, Work & Society, 3, 2, 2005, p. 101-127.
47. Henri VIEILLE-GROSJEAN et Rachel SOLOMON TSEHAY, « Les médiateurs sociaux : limites et
enjeux d'un dispositif », dans Sociétés et jeunesses en difficulté, 12, 2011, p. 1-22.
48. D'après Sophie Divay (art.cit., 2005), il s'agit là d'un secteur malgré tout minoritaire parmi
les employeurs, loin derrière les associations et les communes. Toutefois, il existe également
des associations qui agissent sous forme délégataire pour des bailleurs, comme Citéo dans le
nord de la France.
49. Jean-Marc STEBE, op. cit., 2005.
50. Jean-Marc STEBE, « La médiation sociale au cœur de la « crise urbaine », dans Informations
sociales, 170, 2012, p. 82-88.
51. Nicole GADREY, Agnès PELAGE, Pascal ROQUET et Élise VERLEY, « Les emplois jeunes de la
médiation sociale », dans Agora débats/jeunesses, 25, 2001, p. 92.
Recherches et travaux, vol. 38/2023
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