Revue - Droit et société n°116-2024 - 143

Contributions à une redéfinitiondes droits fondamentaux
si complexes que ses auteurs ont cherché des réponses partout8 ». Mounier se
montrera finalement dissident pendant l'Occupation.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que la France est en pleine
restructuration constitutionnelle, Mounier et Gurvitch font chacun paraître une
proposition de déclaration de droits9 qui prendra une place majeure dans leurs
œuvres respectives. Par ce recours à une forme juridique consacrée, ils ne se
positionnent pas en tant que juristes mais plutôt en tant que militants, soucieux
d'une réformation politique et juridique majeure, à l'instar des révolutionnaires
de 1789. Sur ce point, ils se rejoignent par les méthodes d'actions qu'ils proposent
et par leur vision des droits fondamentaux et donnent à voir leurs influences communes.
En sus d'un travail théorique philosophique et sociologique, l'engagement
politique prend une place importante dans leur vie.
Mounier fait partie d'un groupe d'intellectuels-révolutionnaires qui ont fondé
en octobre 1934 La Troisième Force10, mouvement politique cherchant une
alternative au capitalisme et au marxisme, dont Georges Izard prit la direction.
Mounier prolonge son engagement durant l'occupation où il sera emprisonné du
fait de ses prises de position politiques. Acquitté en 1942, il se réfugie à Dieulefit
sous un faux nom jusqu'à la libération. Il rédige ensuite plusieurs articles pour
les Cahiers politiques clandestins, organe du Comité général d'études créé par
Jean Moulin11. C'est dans ce contexte proche de la Résistance qu'il propose, au
sortir de la guerre, son projet de déclaration. Il rédige alors un texte qui donne
une nouvelle forme aux concepts qu'il développait théoriquement. En effet, il
se revendique d'un christianisme engagé, qui s'incarne « dans la chair réelle de
la société humaine12 » et s'empare donc des problèmes socio-économiques. Il
meurt à 45 ans en plein travail. Les témoignages d'affection intellectuelle furent
nombreux13, sans que cela n'empêche un oubli progressif. Dès les années 1970,
8. « It was Esprit's strength to borrow from divergent traditions which we can label or identify
and to do so in such a way as to blur or weaken these distinctions which we might otherwise take
for granted. Esprit found the problems of the modern world so complex and so pressing that its writers
searched in every corner for understanding and answers. » [Notre traduction]. B. Jaye Miller,
« Anarchism and French Catholicism in Esprit », Journal of the History of Ideas, 37 (1), 1976, p. 174.
DOI : 10.2307/2708718.
9. Emmanuel Mounier, « Faut-il refaire la Déclaration des Droits ? » suivi de « Projet d'une Déclaration
des Droits des personnes et des collectivités », Esprit, 13e année, 1944, numérisés dans la
collection « Les classiques des sciences sociales » (Bibliohèque Paul-Émile de l'Université du Québec
à Chicoutimi), p. 118-127. Georges Gurvitch, La Déclaration des droits sociaux, Paris : Dalloz, 2009
[1946].
10. Avec Georges Izard, André Déléage et Louis-Émile Galey.
11. Collectif, « Portrait d'Emmanuel Mounier », Esprit, 2022.
12. Charles Baudouin, « Quelques aspects nouveaux du problème de la Personne », Revue Philosophique
de la France et de l'étranger, 126 (11-12), 1938, p. 313.
13. « René Cassin, le cardinal Gerlier, Louis Althusser, Jean Bazaine, Marc Chagall ». Voir Jacques
Le Goff, « Emmanuel Mounier, notre contemporain », Esprit, 2020.
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