Revue - Droit et société n°116-2024 - 155

Contributions à une redéfinitiondes droits fondamentaux
De cette idée, Mounier semble bien donner corps à son analyse de la démocratie,
ou plus précisément à la critique qu'il opère de la « démocratie massive73 ». Il se
réfère ici aussi à Proudhon et distingue le peuple réel du peuple légal, au sens des
votants, considérés uniquement comme des individus dans le cadre d'une démocratie
représentative. En cela, il déplore, l'« idéal de concentration, de centralisation :
une collectivité indivise, un suffrage universel indivis, d'où surgit une assemblée
indivisée qui produit un gouvernement indivis, lequel gouverne une nation indivise74
». Et par là, il conteste autant la démocratie libérale individualiste, fondée
sur la représentation75, que la démocratie de masse fondée sur le marxisme.
Pour Gurvitch, le renouveau de la démocratie passe par sa reconnaissance
dans des groupes sociaux. La démocratie n'est pas qu'une affaire d'État, elle est
vivante dans la société. Il encourage, et c'est un des objets de sa déclaration, le
développement « polyédrique76 », de la démocratie, c'est-à-dire dans des formes
non uniquement politiques, ni uniquement à l'échelle de l'État, comme on peut le
voir dans des groupes de travailleurs, de consommateurs, etc. Gurvitch fait une
lecture associationniste de la démocratie, c'est-à-dire qu'elle naît d'abord dans
des groupes sociaux à petites échelles et peut s'épanouir jusqu'à la communauté
des États. Le programme de Gurvitch, appuyé par des observations concrètes,
fournit des indications organisationnelles à destination des groupes souhaitant
décider en commun.
En cela, l'un comme l'autre s'inscrit dans un courant de pensée contemporain
sur les nouvelles formes de la démocratie. Partant de l'idée que la démocratie
représentative est perpétuellement en crise77, il s'agit de rechercher des moyens
pour donner voix au peuple réel et non uniquement au peuple massif interpellé
seulement pour élire des représentants78. Si les théories et les propositions sont
diverses, entre les mouvements de démocratie délibérative incluant les groupes
sociaux79, les actions pour renforcer le rôle démocratique des corps intermédiaires
73. Emmanuel Mounier, « Les mensonges de la démocratie massive », in Communisme, anarchisme
et personnalisme, op. cit., p. 124-127.
74. Ibid., p. 127.
75. « L'échec de la démocratie individualiste n'est pas l'échec de la démocratie, c'est l'échec de l'individualisme
». Voir Emmanuel Mounier, Communisme, anarchisme et personnalisme, op. cit., p. 39.
76. Georges Gurvitch, « Le principe démocratique et la démocratie future », Revue de métaphysique
et de morale, 36 (3), 1929, p. 422.
77. Francis Dupuis-Deri, « La post-démocratie et l'illusion de la nostalgie. Démocratie contre représentation
», in Karim Benyekhlef, Au-delà de la représentation : les figures de la démocratie, Montréal :
Thémis, 2016, p. 43.
78.
Ils sont alors proches des analyses de Pierre Rosanvallon : « Cours 2 : Le peuple comme indéterminé
de la démocratie », cours au Collège de France, « Théorie générale de la démocratie », séance du
11 janvier 2012, autour de la trentième minute et suivantes. 
79.
David Kahane, « Délibération démocratique et ontologie sociale », Philosophiques, 29 (2), 2002,
p. 251-286. DOI : 10.7202/006254ar.
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