Revue - Droit et société n°116-2024 - 156

Garance Navarro-Ugé
(associations, collectifs, etc.)80, la pensée des communs et de leur organisation
démocratique81, le municipalisme, elles ont pour point commun de ne pas concevoir
le citoyen uniquement comme un individu isolé. Les groupes d'appartenance
sociaux, culturels, économiques, politiques, etc., sont invités sur la scène démocratique,
l'objectif étant de développer la démocratie à l'échelle locale et dans divers
groupes. Les textes que nous venons d'étudier présentent ces mouvements et
donnent des pistes pour fonder la démocratie dans la société et ses composantes,
c'est-à-dire la multiplicité des groupes sociaux.
Alors qu'en 1789, il s'agit pour les représentants du peuple français, constitués
en Assemblée nationale, de proclamer les droits inaliénables et sacrés de
l'individu, pour Gurvitch et Mounier, il est question de proclamer les droits de
l'homme social. Mounier précise ainsi que « les communautés naturelles doivent
être représentées en tant que telles auprès de l'État.82 » et à Gurvitch de proclamer
les droits du producteur et du consommateur. Au-delà du fond, ce sont bien des
formalisations de la réalité de groupes sociaux que ces textes soutiennent, ce qui
invite à rediscuter la démocratie représentative, que nos auteurs qualifient de
démocratie individualiste. Pour ce faire, la forme « déclaration » permet de donner
force à l'idéal, en tant que moyen pour limiter l'État.
II. 2. Une déclaration nécessairement supra-légale : les paradoxes
Les déclarations de Mounier et Gurvitch permettent de formaliser des droits nés
dans la société : l'État n'est pas considéré, au sens kelsenien du terme, comme
détenant le monopole de la création du droit. Alors, « l'État est le gardien, il n'est
pas le créateur du droit.83 »
Gurvitch comme Mounier véhiculent dans leur œuvre une vision pluraliste du
droit et reconnaissent ainsi une diversité d'ordres juridiques infra-étatiques. La
société est pour eux une source de droit qui se conjugue avec le droit de l'État,
par le biais de relations juridiques pouvant être coordonnées ou conflictuelles.
C'est en cela que leurs déclarations proposent une définition minimale de l'État.
Pour Mounier, « l'État est à la fois un pouvoir et une administration au service de
cet équilibre (entre communautés et individus). Il protège l'indépendance des
personnes contre la tyrannie toujours menaçante des groupes, et, la vie des communautés
contre l'anarchie toujours renaissante des individus. Au-delà, il abuse
de son pouvoir.84 » Cette explication lacunaire trouvera peut-être un sens plus clair
chez Gurvitch. Ce dernier invoque une « dialectique de l'intervention de l'État » :
celui-ci « ne faisant que détruire les obstacles à l'affranchissement des forces
80. Voir le travail du collectif « Pas sans nous » :
81. Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au xxie siècle, Paris : La Découverte,
2015. DOI : 10.3917/dec.dardo.2015.01.
82. Emmanuel Mounier, « Projet d'une Déclaration... », op. cit., p. 10, art. 36.
83. Ibid., p. 6, art. 1.
84. Ibid., p. 6, art. 5.
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