Revue - Droit et société n°116-2024 - 40

Mona Gérardin-Laverge
une idée répandue est que " ça manque de femme " et que leur présence, la mixité,
suffirait à rétablir l'égalité et à assurer l'équilibre.5 » Mais, comme le souligne la
sociologue Christine Delphy, peut-on vraiment attendre d'une parité numérique
qu'elle amène l'égalité ? « Quel lieu plus mixte que la famille ? Et pourtant, où y
a-t-il plus d'inégalité, entre mari et femme, entre parent et enfant6 ? » Bien qu'elle
puisse jouer un rôle important, il semble que la parité numérique ne suffise pas
à transformer en profondeur les rapports de pouvoir patriarcaux qui structurent
notre société et nos institutions. Dans une perspective critique matérialiste7, cette
transformation sociale se fonde prioritairement sur la prise de conscience par les
groupes opprimés de leur situation d'oppression, qui permet à une classe « en
soi », existant objectivement du fait d'une communauté de conditions matérielles,
de devenir une classe « pour soi », consciente d'elle-même en tant que classe et
consciente de l'opposition de ses intérêts à ceux de la classe dominante. Dans
cette perspective, la progression vers davantage d'égalité et de démocratie repose
sur une lutte de classes, et il est primordial que les opprimé·es s'auto-organisent
pour mener cette lutte, en se réunissant dans des organisations « non-mixtes »
du point de vue de la classe.
Mais si la non-mixité de classe dans certains espaces, comme les syndicats par
exemple, est aujourd'hui admise, la sphère politique et médiatique a été agitée ces
dernières années, en France comme en Belgique, par de vifs débats sur la « nonmixité
» ou « mixité choisie » adoptée par des groupes militants féministes et/ou
antiracistes. En France, un « camp d'été décolonial » organisé en 2016 à Reims
par Sihame Assbague et Fania Noël8 et réservé aux « personnes racisées » a fait
l'objet d'attaques virulentes, de la ministre de l'Éducation Najat Vallaud-Belkacem
qui fustigeait « une vision racisée et raciste de la société qui n'est pas la nôtre », à
la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) qui dénonçait
une « dérive identitaire9 ». L'année suivante, le festival afro-féministe Nyansapo,
5. Christine Delphy, Un universalisme si particulier. Féminisme et exception française (1980-2010),
Paris : Syllepses, 2010, p. 77.
6.
Ibid.
7. Nous renvoyons par-là aux travaux qui, dans le champ des sciences humaines, s'inscrivent dans
la continuité du matérialisme historique de Marx, en cherchant à développer une perspective critique
sur le monde et à remettre les pieds des philosophes sur terre en partant des conditions matérielles
de vie, des modes de production historiques, qui déterminent nos conceptions du monde et nos idées
(Thèses sur Feuerbach, publiées dans Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, traduit de
l'allemand par Renée Cartelle et Gilbert Badia, Paris : Éditions sociales, 2012 [1968]).
8.
Journaliste et militante, Sihame Assbague a été porte-parole du collectif Contre le contrôle au
faciès et a pris régulièrement position sur les violences policières et l'islamophobie. Fania Noël est
une autrice et militante afroféministe membre du collectif Mwasi. Doctorante en sociologie à la New
School for Social Research, elle travaille sur les théories féministes noires, la racialisation des espaces
et la spatialisation de la race. Elle est notamment l'autrice de Afro-Communautaire. Appartenir à nousmêmes
(Paris : Syllepse, 2019) et de Et maintenant le pouvoir. Un horizon politique afroféministe (Paris :
Cambourakis, 2022).
9. « Vidéo. À l'Assemblée, Vallaud-Belkacem condamne le " camp d'été décolonial " », Le Parisien,
28 avril 2016, consulté le 15 janvier 2024.
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■ Droit et Société 116/2024

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