Revue - Droit et société n°116-2024 - 44

Mona Gérardin-Laverge
l'analyse théorique aux fins du militantisme, mais au sens où nous cherchons à
mettre en évidence la circulation des idées, des concepts et des théories entre le
champ militant et le champ académique.
I. La non-mixité contre l'universalisme ?
Comme le montrent les critiques évoquées plus haut, les détracteurs de la nonmixité
lui reprochent de rompre avec l'universalisme démocratique moderne,
de renforcer voire d'essentialiser des différences (de genre, de race27) entre les
citoyen·nes, et de reproduire les inégalités et les discriminations contre lesquelles
elle prétend lutter. Car la démocratie repose sur la libre et égale participation de
tous les citoyens à la vie politique, qui se traduit notamment par le suffrage universel.
Pour l'un de ses principaux théoriciens, Jean-Jacques Rousseau, les hommes
sont par nature libres et égaux28. Faire société ne peut consister à aliéner cette
liberté naturelle : Rousseau s'oppose à l'idée que les hommes pourraient passer
un « pacte de soumission », et considère que la société se fonde sur un contrat
social garantissant la liberté civile et l'égalité. Par le contrat social, les hommes
acceptent à la fois de participer et de se soumettre à la volonté générale, qui n'est
pas la somme des intérêts particuliers (ce serait alors la « volonté de tous »), mais
la recherche du bien commun, ce qui ressort de la considération par chacun de
l'intérêt général. Dans l'histoire politique française, cette idée a pris la forme d'un
double universalisme : l'idée de droits naturels partagés par tous les hommes (le
premier article de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 affirme
ainsi que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit »),
et l'idée d'un bien commun à tous sur lequel les hommes peuvent s'accorder.
Dans cette perspective, la démocratie repose sur un corps politique composé de
citoyens ayant une volonté commune, supérieure aux particularités des individus
et dépassant leurs intérêts particuliers.
Deux grandes objections ont pu être adressées à cette idée. D'une part, tous
les êtres humains ne sont pas inclus dans les théories contractualistes et dans la
pratique du suffrage universel29 : les colonisé·es et les femmes, notamment, sont
Routledge, 2004. Nous l'avons présentée dans l'article suivant : Mona Gérardin-Laverge et Anne-Claire
Collier, « Circulation et production des savoirs. Une discussion épistémologique », Terrains Théories,
11, 2020. DOI : 10.4000/teth.2588.
27. Nous utilisons ces deux termes dans une perspective constructiviste critique, non pas pour désigner
des réalités naturelles, mais comme des outils permettant de penser les processus de construction
sociale du genre et de la race, le racisme et le sexisme.
28. Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris : Flammarion, 2012 [1762] ; Id., Discours sur
l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris : Flammarion, 2012 [1755].
29. Joan W. Scott, La Citoyenne paradoxale : les féministes françaises et les droits de l'homme, traduit
de l'anglais par Colette Pratt et Marie Bourdé, Paris : Albin Michel, 1998.
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