Revue - Droit et société n°116-2024 - 50

Mona Gérardin-Laverge
du féminisme43, ainsi que l'hétérocentrisme44 et la blanchité45 des mouvements
féministes. Non seulement la non-mixité ne garantit pas l'égalité ou l'horizontalité
entre les militantes, puisque d'autres rapports de domination subsistent, mais
elle ne produit pas nécessairement un sujet politique collectif unifié poursuivant
les mêmes objectifs.
À partir de là, deux réponses complémentaires sont apportées. Certain·es
militant·es développent d'autres formes de non-mixité (groupes lesbiennes46,
collectifs de femmes et minorités de genre racisées47, collectifs de femmes en
situation de handicap48, etc.). L'enjeu est alors de ne pas voir ces collectifs comme
des « sous-groupes » dérivés du féminisme et traitant de questions qui leur sont
propres, mais de considérer qu'ils interpellent le féminisme de l'intérieur, qu'ils
visibilisent des problématiques et mettent des objectifs à l'agenda du mouvement
féministe dans son ensemble49.
Dans le même temps, avec le développement des luttes queer, progressivement
le terme de « mixité choisie » a pu être préféré à celui de « non-mixité », pour
rendre compte de la non-homogénéité du sujet politique féministe, et inclure les
personnes non-binaires, trans, inter et queer dans la lutte féministe50. En effet, l'un
des enjeux des luttes queer consiste à résister à la réification et à l'essentialisation
des catégories sociales qui peuvent découler des politiques fondées sur l'identité
comme des pratiques de non-mixité.
La possibilité d'une politique queer, qui ne se fonderait pas sur une identité,
sur un sujet politique donné et stable, est une des questions centrales de l'œuvre
philosophique de Judith Butler. Dans Trouble dans le genre, Butler part du constat
43. Alban Jacquemart et Camille Masclet, « Mixités et non-mixités dans les mouvements féministes
des années 1968 en France », op. cit., p. 240.
44. Monique Wittig, La Pensée straight, op. cit.
45. Elsa Dorlin (dir.), Black Feminism. Anthologie du féminisme africain-américain 1975-2000, Paris :
L'Harmattan, 2007.
46. « Au groupe lesbiennes, pas de discussion sur le viol conjugal, la contraception, l'avortement.
On a des points de vue différents. » Tract « Eh bien oui bonjour, on est lesbiennes », date supposée
1977, Lyon, Archives recherches et cultures lesbiennes, cité in Alban Jacquemart et Camille Masclet,
« Mixités et non-mixités dans les mouvements féministes des années 1968 en France », op. cit., p. 240.
47. Silyane Larcher, « " Nos vies sont politiques ! " L'afroféminisme en France ou la riposte des petites-filles
de l'Empire », Participations, 19 (3), 2017, p. 97-127. DOI : 10.3917/parti.019.0097.
48. Les Dévalideuses, « Handi-féminisme. La double non-mixité des Dévalideuses », Travail, genre et
sociétés, 49 (1), 2023, p. 183-186. DOI : 10.3917/tgs.049.0183.
49. Voir Silyane Larcher, « " Nos vies sont politiques ! " », op. cit., p. 106 : « Il y a un vrai paternalisme
à imaginer l'afroféminisme comme un pur dérivé d'un féminisme plus grand ».
50. C'est ce dont témoignent par exemple Tamara Knezevic, Vanessa Monney et Maria Pedrosa dans
l'article qu'elles consacrent à l'organisation de la grève féministe en Suisse en 2019 : « Lors des premières
discussions, le terme de non-mixité est progressivement remplacé par celui de mixité choisie.
Concrètement, ce mode d'organisation implique que les femmes cis-genre, les personnes trans' et non
binaires peuvent participer aux plénières et groupes de travail du collectif. » Tamara Knezevic, Vanessa
Monney et Maria Pedrosa, « Organiser la grève féministe en Suisse. La mixité choisie comme levier
d'émancipation », Travail, genre et sociétés, 49 (1), 2023, p. 177-181). DOI : 10.3917/tgs.049.0177.
48 ■ Droit et Société 116/2024
Revue - Droit et société n°116-2024

Table des matières de la publication Revue - Droit et société n°116-2024
