Revue - Droit et société n°116-2024 - 52

Mona Gérardin-Laverge
sa carte d'identité quand il vient assister à une réunion politique. [...] De ce point de vue, la théorie queer
a toujours été en phase avec la lutte contre le sida : elle se concentre sur le problème, non sur l'identité.55
La notion butlerienne de coalition constitue-t-elle une réponse aux difficultés
rencontrées par les luttes féministes et mises en évidence par la pratique de la
non-mixité, comme l'homogénéisation, l'exclusion et l'essentialisme ? Permet-elle
de penser le faire-ensemble de différents individus dans les collectifs structurés
par la mixité choisie ? Il nous semble que oui, à la condition qu'on comprenne la
notion de coalition moins comme une solution aux difficultés rencontrées par
les luttes féministes que comme un outil à mettre au travail pour analyser la
construction, mouvante, des collectifs de lutte, telle qu'elle est rendue possible par
les pratiques de non-mixité ou de mixité choisie. Comprise en ce sens, la notion de
coalition permet de sortir de certaines impasses : elle ne réifie pas les catégories
et n'entérine pas les assignations sociales. Elle laisse la lutte politique ouverte à
l'hétérogénéité des expériences et, si elle ne fonde pas la lutte sur des identités,
elle ne rejette pas non plus toute mobilisation de catégories identitaires dans des
luttes concrètes ; elle nous invite simplement à rester critiques et méfiant·es à
l'égard de ces catégories, donc à leur conserver une définition et une extension
relativement ouvertes, disponibles au changement, à la critique et à la reformulation56.
Enfin, elle permet de penser que les alliances et les solidarités ne sont
pas nécessairement données par une condition ou des intérêts communs, mais
qu'elles peuvent naître de la pratique politique, puisque celle-ci met en relation
des personnes, leur permet d'établir des liens entre leurs expériences sociales qui
peuvent se faire écho sans être identiques ou similaires, et peut être l'occasion
d'inventer de nouveaux modes de vie.
Conclusion
Nous interrogeant sur les débats actuels entourant l'organisation en non-mixité
de certains groupes féministes et antiracistes, nous avons tenté de déconstruire
les argumentaires fondés sur le séparatisme, la reproduction des inégalités et
l'essentialisme à l'appui du rejet de la non-mixité. La question du séparatisme
nous semble facilement tranchée puisque, si certains groupes non-mixtes se
veulent séparatistes (et dans ce cas, il ne s'agit pas d'une accusation mais d'une
revendication), la plupart considèrent la non-mixité comme un moment, un espace,
une étape permettant de transformer la société tout entière et de garantir plus de
55. Judith Butler et Irène Jami, « Considérer le problème plus que l'identité », op. cit., p. 124-125.
56. « Mobiliser des catégories identitaires à des fins de politisation, c'est toujours courir le risque
imminent de voir l'identité devenir l'instrument du pouvoir auquel on s'oppose. Ce n'est pas une raison
pour ne pas utiliser, ou être utilisé·e par, l'identité. Il n'y a pas de position politique qui soit pure de
tout pouvoir. » (Trouble dans le genre, op. cit., p. 49-50).
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