Revue - Droit et société n°116-2024 - 56

Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing
La page du site Internet du ministère de la Justice dédiée au recrutement des
personnels de surveillance en prison1 féminise d'emblée la fonction : « surveillant
ou surveillante pénitentiaire ». Cette présentation traduit ainsi la volonté
de l'administration pénitentiaire (AP) de promouvoir l'égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes et, au-delà, de rénover l'image d'une profession
trop souvent présentée dans une dimension sécuritaire et viriliste. Pour autant,
la photographie qui illustre le métier est celle d'un homme blanc, aux cheveux
courts, relativement jeune, et qui porte l'uniforme - là où l'image d'une femme était
insérée pour la campagne de recrutement en 20212. Les textes de présentation
qui suivent sont tous au masculin neutre. Dans ces conditions, il est légitime de
s'interroger : s'agit-il d'une réelle politique d'ouverture aux femmes du métier de
surveillant·e ou d'une simple politique d'affichage ?
Cette féminisation du métier de surveillant·e présente indiscutablement quelques
singularités. Elle est d'abord relativement tardive. Dans les premiers temps de
la prison pénale, les tâches de surveillance étaient confiées exclusivement à des
personnels masculins, qu'il s'agisse de surveiller des hommes ou des femmes
détenu·es. Au milieu du xixe siècle, en raison du souci de moralisation des femmes
incarcérées et de la révélation de cas de grossesses en détention3, les gardiens se
sont vu interdire l'accès aux quartiers et établissements pour femmes4. Pour les
remplacer, des surveillantes ont fait leur première entrée dans l'institution carcérale
: d'abord des religieuses5, puis, du fait de la laïcisation, des dames laïques.
Cette répartition des tâches de surveillance - la surveillance des hommes par
des surveillants / la surveillance des femmes par des surveillantes - est restée
inchangée jusque dans les années 1990 qui ont consacré l'entrée des femmes surveillantes
dans les espaces de détention pour hommes, sans pour autant remettre
en cause l'interdiction d'accès des hommes surveillants aux espaces de détention
pour femmes6.
1. Présentation du métier de surveillant·e pénitentiaire sur le site de recrutement du ministère de
la Justice, consulté le 19 janvier 2024 :
2. Campagne de recrutement des surveillant·es pénitentiaires sur le site du ministère de la Justice,
consulté le 19 janvier 2024 :
3.
Anna Le Pennec, Histoires de prisonnières. Les femmes incarcérées dans les maisons centrales du
sud de la France au xixe siècle, Toulouse : Presses universitaires du Midi, 2022 ; Claudie Lesselier,
Les Femmes et la prison, 1815-1939, thèse de doctorat en histoire, Paris VII, 1982.
4. Article 5 de l'arrêté du 25 décembre 1819 sur la police des prisons départementales, Code des
prisons, tome 1, p. 79 ; décision ministérielle du 6 avril 1839 sur les préposés à la garde des femmes
condamnées, Code des prisons, tome 1, p. 239 ; article 27 du règlement général pour les prisons départementales
du 30 octobre 1841, Code des prisons, tome 1, p. 344.
5. Claude Langlois, « L'introduction des congrégations féminines dans le système pénitentiaire
français (1839-1880) », in Jacques-Guy Petit (dir.), La Prison, le bagne et l'histoire, Genève : Éditions
Médecine et Hygiène, 1984, p. 129.
6. Article R.211-1 du code pénitentiaire.
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