Revue - Droit et société n°116-2024 - 62

Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing
La féminisation relative du personnel de surveillance se constate également en
détention, où le genre de l'agent·e est là aussi déterminant : il permet ou interdit
l'affectation dans les lieux de détention pour femmes ; il détermine si l'agent·e peut
ou non réaliser la fouille d'une personne détenue. Aussi, des ratios hommes-femmes
sont établis pour chaque établissement et les affectations de femmes surveillantes
en établissement pénitentiaire se font sur des listes séparées, pour garantir tout à
la fois qu'il n'y ait pas trop de femmes surveillantes et qu'il y en ait suffisamment,
sans qu'il y ait pour autant de seuil plancher ou de plafond explicités.
Cette mixité des personnels de surveillance dans les espaces de détention
masculins ne signifie pas pour autant égalité et indifférenciation des tâches.
II. Maintenir une division genrée du travail de surveillance
Les matériaux recueillis montrent comment, dans les quartiers ou établissements
pour hommes, s'opère une forte division genrée du travail. Les représentations
quant à la complémentarité et la naturalisation des compétences masculines et
féminines organisent une division horizontale du travail selon le genre : schématiquement
aux hommes, les tâches qui relèvent du travail physique de maintien de
l'ordre, aux femmes celles qui renvoient au travail de care (II. 1.). Cette distribution
genrée des tâches conduit à une dévalorisation et à une invisibilisation d'une partie
du travail effectivement exercé par les femmes (II. 2.).
II. 1. Différenciation et hiérarchisation des tâches : travail de care versus travail
sécuritaire
La valorisation de la mixité repose sur l'idée d'une complémentarité entre les
sexes, et non sur une possible indifférenciation des rôles. Femmes et hommes
surveillant·es apporteraient des compétences différentes et une manière spécifique
de travailler. De nombreux agent·es rencontré·es sont ainsi convaincu·es de
l'intérêt de binômes mixtes. La mixité permettrait une meilleure régulation des
relations carcérales avec les détenu·es : les femmes seraient davantage dans la
négociation et le care, les hommes dans une position autoritaire de maintien de
l'ordre23. Une analyse lexicale des entretiens réalisés révèle l'utilisation massive
de certains termes pour désigner les compétences féminines : « calmes », « dialogue
», « diplomates », « relationnel », « recul », « écoute », « respectueuses »,
« attentives », « moins agressives et plus posées ». Leur présence diminuerait ainsi
les risques de conflits ouverts et physiques. À ce titre, l'entrée des surveillantes est
associée à une forme d'apaisement de la détention masculine - un constat qui revient
23. C'est le cas aussi en Amérique du Nord, où la différenciation des tâches est saillante. Voir Peter J.
Kissel et Paul L. Katsampes, « The Impact of Women Corrections Officers on the Functioning of Institutions
Housing Male Inmates », Journal of Offender Counseling Services Rehabilitation, 4 (3), 1980,
p. 213-232. DOI : 10.1300/J264v04n03_03 ; Rosemary Ricciardelli et Laura McKendy, « Gender and
Prison Work », op.cit.
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