Revue - Droit et société n°116-2024 - 64

Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing
Le cas des ERIS permet ainsi d'identifier les processus par lesquels les femmes
restent encore écartées de certains postes jugés les plus « dangereux » ou considérés
comme nécessitant une importante force physique. Pour ces tâches et ces
espaces spécifiques25, la mixité n'est pas de mise et les femmes sont dépossédées
du pouvoir de violence26 - les outils et les armes étant inégalement partagés27.
II. 2. Une invisibilisation du travail effectivement réalisé par les femmes
Il convient toutefois de nuancer le constat si tranché d'une division genrée du
travail de surveillance. Le croisement des méthodes d'enquête a permis de montrer
que, sur le plan sécuritaire, en dehors des fouilles, les femmes exercent des
tâches assez similaires à celles des hommes. Insister de la sorte sur cette division
conduit in fine à invisibiliser les tâches effectivement réalisées par les femmes.
Le traitement des questionnaires révèle des différences statistiquement significatives
dans les perceptions qu'ont les surveillants et surveillantes de leur
travail. Interrogés sur le temps qu'ils et elles peuvent consacrer aux activités de
réinsertion, 9,1 % des femmes déclarent avoir « toujours » ce temps, contre aucun
homme ; inversement, seules 36,4 % des femmes n'ont « jamais » ce temps contre
48,3 % des hommes. D'autre part, à la question « Les femmes participent-elles
aux interventions ? », 90 % des femmes répondent « oui » (soit « oui souvent »
soit « oui parfois ») quand les hommes sont 40 % à répondre « non, jamais ». Ces
données quantitatives invitent ainsi à nuancer les représentations d'une nette
distribution genrée du travail physique de maintien de l'ordre. L'immersion
suffisamment longue sur certains de nos terrains d'enquête le confirme. Nous
avons fréquemment observé des surveillantes monter au front, tenir seules un
étage, rappeler les détenus d'une voix forte, faire barrage avec leur corps - autant
d'activités professionnelles largement invisibilisées dans les discours. Ainsi, les
femmes participent à la fois au travail de maintien de l'ordre et au travail de care
et de réinsertion.
Cette invisibilisation concerne d'autres tâches réalisées exclusivement par
les femmes. Les surveillantes mettent en place des formes de compensation pour
pallier l'interdiction qui leur est faite de fouiller les hommes détenus. En échange,
elles s'occupent des fouilles des cellules : « je ne fais pas les fouilles intégrales,
donc je vais faire deux fois plus de fouilles des cellules, le personnel de surveillance
masculin n'aurait jamais l'idée de faire la même chose vis-à-vis d'un autre
collègue et aucun ne va vous remercier », explique l'une d'entre elles. Les tâches
de compensation peuvent aussi relever d'un travail domestique comme l'entretien
25. Christin Achermann et Ueli Hostettler, « Femmes et hommes en milieu pénitentiaire fermé
en Suisse : réflexions sur les questions de genre et de migrations », traduit de l'allemand par Anna
Neubauer, Nouvelles questions féministes, 26 (1), 2007, p. 76. DOI : 10.3917/nqf.261.0070.
26. Coline Cardi et Geneviève Pruvost (dir.), Penser la violence des femmes, Paris : La Découverte,
2012. DOI : 10.3917/dec.cardi.2012.01.
27. Paola Tabet, « Les Mains, les outils, les armes », L'Homme, 19 (3-4), 1979, p. 5-61. DOI : 10.3406/
hom.1979.367998.
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