Revue - Droit et société n°116-2024 - 65

La féminisation du personnel de surveillance pénitentiaire
et le ménage des bureaux - totalement invisibilisé par leurs collègues selon ces
deux directrices d'établissement :
De la même manière, c'est pas vu, mais c'est les femmes qui vont nettoyer le bureau, qui vont
vider les poubelles s'il y a personne pour le faire. La plupart du temps, c'est les femmes [...]
C'est toujours la surveillante qui va passer le coup de balai et qui changera le sent-bon. Le
collègue n'aura même pas vu qu'il existait ce truc, par contre il va sentir que ça ne sent plus
la même odeur.
Une officière fait quant à elle état des manières différentes de travailler entre
hommes et femmes premier·ères surveillant·es : lors du travail d'écriture ou de
transmission orale qui entoure les rapports d'incident, les femmes entrent davantage
dans le détail que les hommes.
Ainsi, la mixité ne suffit pas et ne veut pas dire égalité28. La mixité liée à l'entrée
des femmes dans des professions traditionnellement et historiquement masculines,
comme c'est le cas de la prison, a des conséquences ambivalentes : « elle produit
à la fois une perpétuation de rapports inégalitaires entre les sexes et un renouveau
de leur expression [...] elle se traduit par une recréation continue d'espaces
ségrégués29 », ce qui rend encore aujourd'hui à la fois difficile et coûteux le travail
dans la « maison des hommes30 » pour les surveillantes.
III. Être femme surveillante dans la « maison des hommes »
Lors des interactions professionnelles en détention, les surveillantes doivent s'intégrer
à la « sociabilité virile31 » de l'institution carcérale pour se faire accepter,
faire leurs preuves et adopter ou déjouer certains stéréotypes de genre (III. 1.). Ces
épreuves s'inscrivent aussi dans un continuum de violences sexistes et sexuelles
(VSS), rarement enregistrées et sanctionnées par l'AP (III. 2.).
III. 1. Faire ses preuves et passer des épreuves
Les surveillantes rencontrées sont nombreuses à affirmer devoir « faire leurs preuves
deux fois plus » pour être reconnues en tant que professionnelles dans les lieux de
détention masculins. On l'a vu, malgré la certaine normalisation de leur présence32,
28. Sabine Fortino, La Mixité au travail, Paris : La Dispute, 2002.
29. Sophie Louey et Gabrielle Schütz, « Les effets de la mixité au prisme du corps et de la sexualité.
Les hommes dans les métiers d'accueil », Travail et emploi, 140 (4), 2014, p. 5. DOI : 10.4000/travailemploi.6466.
30.
Guillaume Malochet, « Des femmes dans la maison des hommes », op.cit.
31. Geneviève Pruvost, De la « sergote » à la femme flic. Une autre histoire de l'institution policière
(1935-2005), Paris : La Découverte, 2008. DOI : 10.3917/dec.pruvo.2008.01.
32. Ainsi, à la question « que pensez-vous du nombre de femmes surveillantes en détention ? »,
28,1 % des 146 personnels de l'administration pénitentiaire interrogés répondent que « leur nombre
convient », 11,6 % qu'« il n'y en a pas assez » et 13 % seulement qu'« il y en a trop » (47,3 % des
personnes interrogées ne répondent pas, ce qui montre un certain désintérêt : la question ne semble
pas se poser). Les réponses ne sont pas statistiquement significatives selon le genre.
Droit et Société 116/2024 ■
63

Revue - Droit et société n°116-2024

Table des matières de la publication Revue - Droit et société n°116-2024