Revue - Droit et société n°116-2024 - 66

Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing
leur féminité reste souvent opposée, dans les discours et les représentations, au
maintien nécessaire de la sécurité. Dans ce contexte, les femmes doivent faire la
preuve de leurs compétences et de leur implication : il s'agit de ne pas « passer
pour une princesse », comme le déclare l'une d'elles. Cela suppose d'exercer des
formes d'autocontrôle et de neutralisation de son genre, en s'éloignant de certains
des attributs traditionnellement associés à la féminité. Ici, le corps au travail est
directement mis en jeu33 et de différentes manières.
Les surveillantes rencontrées indiquent par exemple avoir incorporé d'autres
codes langagiers, qui ne relèvent pas seulement d'un code professionnel. Il s'agit de
« parler plus crûment et plus fort », selon Agnès, mais aussi d'accepter de participer
à un humour potache et grivois. Rarement racontées d'emblée lors des entretiens,
ces blagues graveleuses font partie du décor et ne surgissent que lorsque nous
posons la question explicite de leur existence, comme dans d'autres milieux de
travail non mixtes34. De façon générale, les surveillantes semblent surperformer un
masculin viril dans leur manière de s'exprimer. Un directeur de prison le raconte :
Les premières femmes qu'on voyait arriver en détention, c'était des femmes oui, mais elles
avaient des caractères et un physique d'homme. [...] Alors même si c'est pas physique, elles
avaient au moins le caractère, elles parlaient comme des hommes, elles fumaient comme des
hommes.
Pour autant, il ne faut pas non plus « passer pour un bonhomme ». Les surveillantes
travaillent leur apparence physique35, pour dépasser la neutralité imposée
par le port d'un uniforme aujourd'hui36 similaire à celui des hommes. Pour beaucoup,
la figure de la lesbienne, et plus encore de la « butch », agit comme une figure
repoussoir. Ainsi, elles portent rarement les cheveux courts. L'une d'elle explique
que sa « coupe à la garçonne » l'a immédiatement fait passer pour homosexuelle :
« il a fallu leur expliquer que je ne portais pas le costume trois pièces ». De même,
les surveillantes usent d'objets ou d'ornements censés rappeler discrètement
leur féminité (ongles faits, coiffure, maquillage léger, petits bijoux). Ces attributs
ne doivent cependant pas devenir ostentatoires : il s'agit de rester dans le cadre
de la « féminité respectable37 », d'autant plus qu'une féminité exacerbée peut
leur être reprochée en tant qu'elle s'opposerait aux missions sécuritaires. Une
33. Yvonne Guichard-Claudic et Danièle Kergoat, « Le corps aux prises avec l'avancée en mixité »,
Cahiers du genre, 42, 2007, p. 11. DOI : 10.3917/cdge.042.0005.
34. Sylvie Cromer et Dominique Lemaire, « L'affrontement des sexes en milieu de travail non mixte,
observatoire du système de genre », Cahiers du Genre, 42, 2007, p. 67. DOI : 10.3917/cdge.042.0061.
35. Juliette Rennes, Clotilde Lemarchant et Lise Bernard, « Habits de travail », Travail, genre et
sociétés, 41, 2009, p. 23-28. DOI : 10.3917/tgs.041.0023.
36. Dominique Bibal et Martine Menard, L'Uniforme du personnel de prison de la Restauration à
nos Jours, collection Archives pénitentiaire, n° 6, ministère de la Justice, direction de l'Administration
pénitentiaire, service des Études et de l'organisation, 1986.
37. Beverley Skeggs, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, traduit de l'anglais
par Marie-Pierre Pouly, Marseille : Agone, 2015. DOI : 10.3917/agon.berve.2015.01.
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