Revue - Droit et société n°116-2024 - 67

La féminisation du personnel de surveillance pénitentiaire
directrice d'établissement s'oppose par exemple aux « ongles trop longs » chez
les surveillantes.
Y a trop de choses qui ne vont pas pour moi aujourd'hui hein : ces ongles qui sont trop longs.
Alors c'est très féminin sauf que dans le cadre de nos missions ce n'est pas adapté, ça fait
Griffes de la Nuit parfois.
Ces techniques d'autocontrôle supposent finalement de se positionner sur
une ligne de crête : intégrer un entre-soi professionnel viriliste par la parole et
l'humour, et, ce faisant, performer une forme de masculinité hégémonique38, tout
en se distinguant de la figure de l'homosexualité féminine, associée à l'inversion
même du féminin, en performant une forme de féminité respectable. Entrer
dans « des professions construites sur la non-mixité implique une confrontation
particulière entre les sexes, dont l'enjeu est de se faire reconnaître en tant que
membre du groupe professionnel sans pour autant perdre son appartenance à
son groupe de sexe39 ».
III. 2. Faire face à un continuum de violences sexistes et sexuelles
Les surveillantes mettent donc en œuvre un véritable travail pour apparaître,
aux yeux de leurs collègues, comme de « vraies » professionnelles. En creux, elles
décrivent un monde relativement hostile où se déploient de nombreuses violences
sexistes et sexuelles. Il s'agit notamment de blagues machistes les renvoyant à
leur infériorité physique ou les sexualisant40. Emmanuelle Zolezio, à propos des
chirurgien·nes41, y voit un moyen de disqualifier les femmes et de les tenir à l'écart.
En prison, elles prennent parfois place dans une ambiance arrosée et propre à une
certaine désinhibition, comme le raconte une gradée à propos des services de nuit.
Y a ceux qui vont être lourdingues [...] « il y a des chambres de nuit, on pourrait aller faire
un petit tour ». [...] Il faut savoir s'imposer. « Je suis là pour faire mon travail, là t'abuses, t'es
pompette, je te reverrai quand tu le seras moins ». [...] Il y en a qui abusaient.
Ces propos « lourdingues » sont récurrents et font partie des « coulisses » de la
profession. Généralement énoncés sous le ton de l'humour, ils peuvent rapidement
prendre la forme d'avances sexuelles, voire d'agressions sexuelles :
38. Raewyn Connell, Masculinités. Enjeux sociaux de l'hégémonie, traduit de l'anglais par Claire
Richard, Clémence Garrot, Florian Vörös, Marion Duval et Maxime Cervulle, Paris : Amsterdam, 2014.
39. Sylvie Cromer et Dominique Lemaire, « L'affrontement des sexes en milieu de travail non mixte »,
op. cit., p. 62. ; sur ce point voir également Clotilde Lemarchant, « Chapitre 1. Femmes en " métiers
d'hommes " et vice versa », in Id. (dir.), Unique en son genre. Filles et garçons atypiques dans les formations
techniques et professionnelles, Paris : Presses Universitaires de France, 2017, p. 41-65.
40. Freda Burdett, Lynne Gouliquer et Carmen Poulin, « Culture of Corrections: The Experiences
of Women Correctional Officers », Feminist Criminology, 13 (3), 2018, p. 329-349.
DOI : 10.1177/1557085118767974.
41. Emmanuelle Zolesio, Chirurgiens au féminin ? Des femmes dans un métier d'hommes, Rennes :
Presses universitaires de Rennes, 2009.
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