Revue - Droit et société n°116-2024 - 68

Coline Cardi, Anaïs Henneguelle, Anne Jennequin, Corinne Rostaing
Moi j'avais un certain âge déjà, je suis rentrée assez tard, donc on m'avait surnommée « la
vieille » [...] du genre « ah la vieille, t'as un beau cul », enfin des choses comme ça... et puis
encore, ça c'est gentil, j'ai des collègues qui ont eu affaire à des réflexions beaucoup plus...
beaucoup plus trash. [...] Alors moi je suis très ouverte donc euh... donc si vous voulez ce genre
de réflexion, entre guillemets, ne me choque pas, peut-être parce que déjà j'ai l'habitude avant
de travailler dans un milieu d'hommes, donc moi je répondais... Il y a des surveillants qui
n'hésitaient pas, sur certaines collègues, à mettre des p'tites tapes au niveau de leurs fesses,
etc. Moi d'emblée j'ai tenu ma place et d'emblée je leur ai fait comprendre que, attention, ça il
en était pas question, je veux bien plaisanter, je veux bien rigoler mais ça, c'est mort.
Notre travail de terrain a ainsi révélé un continuum de VSS, incluant des blagues,
des situations de drague insistante, de harcèlement sexuel, d'attouchement
ou d'agression sexuels. Dans les questionnaires, à la question « Pensez-vous que
des violences sexistes ou sexuelles peuvent avoir lieu entre surveillants et surveillantes
? », seuls 11,4 % des femmes et 24,1 % des hommes répondent par la
négative, alors que respectivement 63,6 % et 55,2 % des femmes et des hommes
interrogé·es indiquent en avoir déjà entendu parler.
Difficilement quantifiable et ne faisant généralement pas l'objet de remontées
au niveau de la DAP, cet ensemble de VSS fait partie des épreuves professionnelles
vécues par les surveillantes et s'inscrit dans un cadre de sexisme latent. Ainsi, à la
question « Y a-t-il du sexisme dans l'AP ? », seules 13 % des personnes interrogées
répondent « Non, pas du tout ». 55 % répondent « Oui, un peu » et 32 % « Oui,
beaucoup ». À la question ouverte associée (« Pourquoi ? »), l'un des surveillants
répond que « Pour oser poser cette question, il faut vraiment être ignorant de l'AP.
Il n'y a pas un SEUL établissement où ce n'est pas le cas ! ». Une surveillante écrit
quant à elle que « Le machisme et la drague sont des gros problèmes ».
Dans ce contexte, les surveillantes sont enjointes à « être sur leurs gardes »,
pour reprendre les propos de l'une d'entre elles, et à recourir à différentes stratégies
de protection. En particulier, elles mettent en place un travail de contrôle
ou de gestion de l'information sur leur vie privée. Beaucoup racontent ainsi que,
lorsqu'elles sont en couple, elles l'affichent ouvertement (par exemple par le port
d'une alliance), pour éviter de faire l'objet de propositions sexuelles régulières. Être
célibataire, c'est aussi souvent apparaître comme une proie potentielle, comme
l'écrit une surveillante en réponse à un questionnaire : « les surveillants nous
voient comme des bouts de viande ». En revanche, aucune personne interrogée
lors de notre enquête n'a fait référence à l'arsenal juridique pourtant existant
et opérationnel42 : la voie juridique ne semble pas être une stratégie de défense
imaginée par les surveillantes43.
Plusieurs tactiques sont finalement mobilisées par les surveillantes pour faire
leur place dans un monde masculin. Les techniques du corps, les micro-stratégies de
42. Les VSS étant susceptibles de constituer à la fois des infractions pénales et des fautes disciplinaires,
deux voies sont ouvertes à la victime : la voie pénale par le dépôt d'une plainte ; la voie administrative
par le signalement des faits au supérieur hiérarchique aux fins d'engager à l'encontre de ou des auteurs
une procédure disciplinaire.
43. Le non-recours aux procédures disponibles s'explique peut-être en partie par les faibles taux de
poursuites engagées et de sanctions prononcées au pénal comme au disciplinaire.
66 ■ Droit et Société 116/2024

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