Revue - Droit et société n°116-2024 - 69

La féminisation du personnel de surveillance pénitentiaire
neutralisation du genre et de protection mises en œuvre et déployées au quotidien
par les surveillantes relèvent de compétences professionnelles et d'un véritable
travail au quotidien, même s'il n'est pas reconnu en ces termes.
Conclusion
La mixité dans le travail des surveillant·es pénitentiaires se construit finalement
à trois niveaux qui s'entrecroisent, comme l'explique Dana Britton à partir du
cas états-unien (2003)44. D'abord, les « structures organisationnelles » (qu'elles
prennent la forme de réglementations juridiques ou de pratiques sur le terrain)
permettent ou empêchent certaines situations, comme la présence de surveillants
dans les quartiers pour femmes. Ensuite, les « travailleur·ses » eux- et elles-mêmes
performent ou non leurs caractéristiques de genre. Enfin, la « culture » pénitentiaire
vient renforcer (dans le cas de la masculinité) ou atténuer (dans le cas de la
féminité) ces caractéristiques.
Pensée d'abord et avant tout pour garantir la bonne gestion des détentions
féminines et masculines, la féminisation du personnel de surveillance ne s'est pas
accompagnée d'une réflexion de l'administration centrale sur le métier même de
surveillant·e et les relations de travail en détention. Celle-ci aurait pourtant permis
de penser les résistances au changement, d'en prendre l'exacte mesure pour
réussir l'intégration des femmes dans un « métier d'hommes ». Les formations
aux questions de genre sont certes déployées au sein de l'École nationale d'administration
pénitentiaire (d'ailleurs une des premières écoles à signer la charte
d'engagement pour une parole non sexiste), mais elles sont proposées aux seul·es
élèves directeur·rices ou conseiller·es pénitentiaires d'insertion et de probation.
De l'aveu même de formateurs, la durée très courte de formation des élèves
surveillant·es (six mois de formation dont seulement treize semaines à l'école)
limite la possibilité d'aborder les questions de genre et d'égalité professionnelle.
L'identité professionnelle du personnel de surveillance aurait pu quant à elle être
recomposée à la faveur de l'entrée des femmes dans les lieux de détention pour
hommes. Leur aptitude à exercer leurs fonctions dans un univers fondamentalement
masculin est un moyen d'interroger le virilisme de la fonction et de repenser les
pratiques professionnelles, en les « démasculinisant ». La féminisation pourrait
par exemple contribuer au développement de la sécurité dynamique (entendue
comme la sécurité reposant sur les relations interpersonnelles et la communication
entre personnel de surveillance et personnes détenues) et donc à une dimension
moins agonistique de l'exercice du métier de surveillant·e.
44. Dana M. Britton, At Work in the Iron Cage. The Prison as Gendered Organization, New York :
New York University Press, 2003.
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