Revue - Droit et société n°117-2024 - 182

Yannick Ganne
sont faites par les lecteurs12 », c'est-à-dire les métadiscours qui sont produits
sur et à partir de l'œuvre. C'est un objet d'étude récurrent et ancien en théorie et
sociologie de la littérature13, qui connaît aussi des incursions dans le domaine du
droit14. Les études des phénomènes de réception peuvent, selon les approches disciplinaires,
adopter différents choix méthodologiques faisant varier le contenu du
corpus considéré, en particulier ses bornes chronologiques, et les outils employés
(comme, par exemple, les analyses bibliométriques). Il est également possible de
considérer la réception d'une même œuvre ou d'un même ouvrage dans différents
contextes géographiques pour participer à interroger, comme le faisait Bourdieu,
la « circulation internationale des idées15 ».
Pour les ouvrages considérés comme classiques et ayant donc bénéficié d'une
certaine audience, ces différents choix méthodologiques sont envisageables et
peuvent être combinés. Mais la question que l'on souhaite poser ici est moins
ambitieuse car elle se limite à un contexte temporel et géographique restreint :
les États-Unis des années 1940. Il s'agit d'étudier, avec le recul dont on dispose,
comment un ouvrage devenu classique a été reçu par ses contemporains et si des
signes précoces de classicisation pouvaient alors être décelés ou résulter de cette
réception. Ainsi, même si la réception d'un ouvrage ne s'achève jamais vraiment,
l'ouvrage étant amené à être relu et à faire l'objet de commentaires, parfois dans
une optique de récupération ou d'autolégitimation, bien après sa parution16, on se
propose de ne considérer que sa réception immédiate. Le corpus étudié prendra
donc en compte les recensions écrites peu après la parution, c'est-à-dire l'ensemble
des textes qui rendent compte de l'existence de l'ouvrage et qui en proposent une
première lecture, en donnent un premier avis, offrent une première grille d'analyse.
Ce choix méthodologique se justifie par la particularité de la réception immédiate
qui permet de saisir la naissance de la réputation de l'ouvrage. Les auteurs
et autrices des premières recensions, c'est-à-dire les premiers et premières à en
rendre compte, n'ont pas été influencés dans leur analyse et ouvrent donc le bal de
la réception à une époque où l'ouvrage n'est doté d'aucune réputation particulière.
Même s'il est possible qu'un processus de classicisation puisse intervenir sur le
12. Gisèle Sapiro, Sociologie de la littérature, Paris : La Découverte, 2014, p. 85, v. plus largement
p. 85-106 sur la réception en sociologie.
13. Parmi une vaste littérature, citons ces références : Claude Lefort, Le travail de l'œuvre Machiavel,
Paris : Gallimard, 1972 ; Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris : Gallimard, 1978.
Je remercie les personnes qui m'ont fait connaitre ces très beaux textes.
14. V. tout particulièrement les analyses et choix méthodologiques retenus dans : Thomas Acar,
La Réception de l'œuvre de Ronard Dworkin en France. Thèse de doctorat en droit public, Université
Paris Nanterre, sous la direction de Véronique Champeil-Desplats, 2018.
15. Pierre Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la
recherche en sciences sociales, 145, 2002, p. 3-8. DOI : 10.3917/arss.145.0003. Sur le sujet, v. aussi la
thèse de Thomas Acar, citée.
16. Une liste des recensions, articles et chapitres d'ouvrages spécialement consacrés à The Cheyenne
Way et publiés en langue anglaise est proposée en fin d'article.
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