Revue - Droit et société n°117-2024 - 207

Lois civiles et normes religieuses en contexte démocratique
Pour autant, le juge ne se conforme pas forcément à ces exigences diplomatiques.
La Cour de Cassation a ainsi affirmé en 2015 l'incompatibilité de la loi marocaine
sur ce point avec l'ordre public international6. L'auteur montre comment le juge
français semble ici entériner une limite infranchissable à la réception de droits
étrangers par le droit français.
La question de la réception de la charia dans le droit français se pose de manière
quelque peu différente quand elle renvoie aux cas de résidents ou citoyens français.
Elle relève alors, a priori, des relations classiques entre normes religieuses et État
démocratique laïque, où l'universalité de la loi civile s'exerce conjointement avec
la recherche d'un équilibre entre libertés religieuses et respect de l'ordre public.
Les différents cas abordés ici illustrent en réalité le caractère faussement simple
de cette affirmation. Et l'on peut, à la lecture, dégager la pertinence de deux phénomènes
soulignés par S. Papi au début de cette deuxième partie.
La « plasticité » (p. 166), tout d'abord, lui apparait, comme c'est le cas pour
les autres confessions, comme un moyen de parvenir, de la manière la moins
imparfaite possible, à la conciliation des libertés individuelles et des exigences du
collectif, et, plus prosaïquement lorsqu'il s'agit de finance islamique, des intérêts
bien compris de chacun. Si certains des éléments constitutifs de cette dernière
trouvaient déjà écho dans le droit français, S. Papi montre comment son déploiement
en France a été rendu possible par la reconnaissance juridique de la place
des commissions théologiques chargées d'adjuger le label « charia compatible »
aux produits financiers. Cette mise en place, contestée par une partie de la classe
politique au nom d'une vision très dogmatique de la laïcité, n'ouvre cependant
pas à un pouvoir de règlement de litige, et ne remet pas en cause la souveraineté
juridique civile, mais elle constitue une procédure de coopération pragmatique,
permettant l'expression du pluralisme dans un des champs du social.
Cependant, et c'est là le second phénomène, le sens des résolutions ici analysées
est soumis à une forte politisation et au caractère polémique du débat public sur
la place de l'islam dans la société française. L'on retrouve ici plusieurs questions
qui animent, de manière souvent peu informée, le débat public en France, et pour
lesquelles l'ouvrage de S. Papi fournit une contribution précieuse et éclairée.
C'est le cas, par exemple, des normes funéraires pour lesquelles l'auteur nous
rappelle fort utilement tous les éléments de compréhension nécessaires. Il s'agit
d'abord de l'accroissement du nombre de personnes renonçant à se faire inhumer
dans leur pays d'origine, les funérailles musulmanes en France ne relevant plus
du phénomène marginal.
S. Papi précise également que le droit, qui pose les principes de la neutralité des
cimetières, ne s'oppose donc pas à l'expression des convictions. À côté du droit, le
déploiement administratif est fluctuant, reposant parfois sur des considérations
politiques. Celles-ci aboutissent à ce que les uns considèrent les carrés confessionnels
comme une mesure nécessaire à une égalité citoyenne, quand les autres y
voient un refus d'intégration. C'est donc bien une certaine insécurité juridique qui
6. Cass, 1e civ, 28 janvier 2015, n° 13-50.059.
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