Revue - Droit et société n°117-2024 - 24

Manon Beaucourt
Tara Rodgers68, cette « rhétorique du choix » également défendue par la Transport
Security Administration (TSA) aux États-Unis, participerait à une gestion néolibérale
et consumériste de la surveillance contemporaine qui contribuerait in fine
à masquer le caractère de plus en plus invasif des contrôles de sécurité. Cette
disposition apparaît pourtant selon nous s'inscrire dans la continuité des agencements
sécuritaires mis en œuvre à l'endroit des passagers dans la plupart des
aéroports internationaux depuis les années 1970, soit de modalités de surveillance
qui s'adressent avant tout à des passagers-clients qu'il s'agit autant de contrôler
que de protéger et de contenter69. Ces ajustements des usages apparaissent en
effet symptomatiques du souci constant des différents acteurs en charge de la
sûreté de trouver des consensus entre sécurité, gestion des flux et préservation
d'un rapport client suffisamment satisfaisant pour que ces derniers continuent de
privilégier ce moyen de transport. En anticipant de potentielles réclamations, les
agents de la DGAC projettent ainsi à la fois des attentes normatives sur la sûreté
(démarche de précaution attentive au potentiel rejet des passagers-clients) et
des représentations sur la protection de l'intimité (préférence des contrôles
visuels au détriment des contrôles physiques). En tout état de cause, cette écriture
règlementaire a en France directement ou indirectement participé au travail de
requalification des scanners comme outil potentiel de protection des droits fondamentaux.
Le changement de terminologie opéré dans la réglementation française
et européenne, passant de « scanner corporel » à « scanner de sûreté », éludant
ainsi la dimension corporelle au cœur des critiques et des controverses dans le
débat public, constitue un autre indicateur annonçant ce déplacement70. Du côté
de l'administration, cette évolution sémantique semble marquer une volonté de
reprise en main du discours sur les appareils :
Donc les scanners corporels, en fait on appelle ça des scanners de sûreté, justement pour partir
du côté corporel de la chose. [...] La notion même de scanner corporel est quelque chose que
du côté de l'aviation... On appelle ça des scanners de sûreté71.
68. Shoshana Magnet et Tara Rodgers, « Stripping for the State », art. cité.
69. Fabien Jobard et Dominique Linhardt, « Surveillance libérale et surveillance souveraine », in
Stéphane Leman-Langlois (dir.), Sphères de surveillance, Montréal : Presses de l'Université de Montréal,
2011, p. 101-134.
70. Absent des débats français, ce changement de terminologie avait cependant fait l'objet de réactions
négatives au niveau européen. La Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures
du Parlement européen avait ainsi invité la Commission « à remplacer l'expression « scanner de sûreté »
par « scanner corporel » lorsque les scanners sont utilisés aux fins du contrôle des personnes [...] afin
d'éviter une confusion et des ambiguïtés malencontreuses et inutiles ». Voir Commission des transports
et du tourisme, Rapport sur la sûreté aérienne, en particulier sur les scanners de sûreté, 30 mai 2010,
(2010/2154[INI]). Aux États-Unis, une évolution similaire s'est opérée dans la réglementation passant
de l'expression « whole body imaging » vers « advanced imaging technologies ». Voir Rocco Bellanova
et Gloria Gonzáles Fuster, « Politics of Disappearance », art. cite.
71. Entretien collectif du 21 janvier 2021 avec des agents de la DGAC.
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