Revue - Droit et société n°117-2024 - 42

Marine Lamare
décalage existe donc entre les motifs officiels et ceux qui sont officieux. Du côté de
Lyon, plusieurs sources attestent par exemple que les « marginaux », les « SDF37 »,
les « prostituées » et les « groupes de jeunes38 » sont surveillés, non pas pour ce
qu'ils font - et qui porterait ou serait susceptible de porter atteinte à la sécurité des
biens et des personnes - dans la mesure où aucune action ne leur est reprochée,
mais pour ce qu'ils sont. Ils sont « marginaux », « SDF », « prostituées », « groupes
de jeunes » et c'est pour cela qu'ils sont surveillés. Lors d'une réunion du collège
d'éthique lyonnais, un agent municipal, venu apporter les « [p]remiers éléments
de bilan sur 2009 », a ainsi relevé une « baisse du nombre de SDF dans la rue en
période hivernale39 ». À la lecture d'un document ayant pour ambition de dresser
un « état des lieux des phénomènes urbains présents sur les sites vidéosurveillés
de Lyon », on apprend également que des « prostituées » sont présentes à l'angle
de la rue du Temple à partir de 14 heures, selon les observations provenant du CSU
de la Ville. La nuit, à partir de 22 heures, c'est à l'angle de la rue Émile Zola qu'elles
se trouvent. Seule leur présence est mentionnée. Aucun fait illégal ne leur est
reproché40. Dans un dossier concernant le CSU de Lyon, le questionnement suivant
est aussi posé : « Pb : Quoi regarder ? Quand regarder ? ». Des remarques sont
ensuite effectuées au sujet de différentes rues et places. Il est ainsi précisé que,
rue Désirée, de 14 heures à 17 heures, des « marginaux » sont repérés. Rien n'est
dit sur ce que font ces « marginaux » ; il est simplement indiqué qu'ils sont vus à
cet endroit, au créneau horaire mentionné. Au niveau des rues Saint-Polycarpe et
prévention et la constatation des infractions relatives à l'abandon d'ordures, de déchets, de matériaux
ou d'autres objets ».
37. Sans domicile fixe.
38. De précédents travaux de recherche évoquent la surveillance des « marginaux » à Lyon. Toutefois,
ils se basent uniquement sur des recueils de discours de commerçants et de riverains et ne vont pas
jusqu'à analyser ce que les opérateurs regardent concrètement lorsqu'ils sont derrière les écrans. Voir
ainsi : Nicolas Poupry, Quelles représentations pour l'insécurité ? Processus de construction de l'insécurité
à travers la mise en œuvre de la vidéosurveillance : le cas des commerçants du Vieux-Lyon, mémoire,
École national des travaux publics de l'État (ENTPE), 2003, p. 100 ; Christophe Bétin, Emmanuel
Martinais et Marie-Christine Renard, « Sécurité, vidéosurveillance et construction de la déviance :
l'exemple du centre-ville de Lyon », Déviance et Société, 27 (1), 2003, p. 4-7. DOI : 10.3917/ds.271.0003.
Ce questionnement sur le travail des opérateurs apparaît cependant dans cet article s'agissant des
« jeunes issus de l'immigration, du Maghreb en particulier » : Ibid., p. 20. Un lien entre installation
de caméras et volonté de faire fuir les personnes sans domicile fixe apparaît aussi dans des articles
assez généraux de l'anthropologue Daniel Terrolle et du sociologue et urbaniste Jean-Pierre Garnier.
Mais ces articles ne s'intéressent pas spécifiquement à la ville de Lyon. Voir ainsi : Daniel Terrolle,
« La ville dissuasive : l'envers de la solidarité avec les SDF », Espaces et sociétés, 116-117 (1-2), 2004,
p. 143-157. DOI : 10.3917/esp.116.0143 ; Jean-Pierre Garnier, « Scénographies pour un simulacre :
l'espace public réenchanté », Espaces et sociétés, 134 (4), 2008, p. 67-81. DOI : 10.3917/esp.134.0067.
39. Compte rendu de la réunion du collège d'éthique de la vidéosurveillance des espaces publics de
la Ville de Lyon du 3 février 2010.
40. Auteur(s) et date inconnus, mais document archivé dans un dossier daté de 2004-2006, État
des lieux des phénomènes urbains sur les sites vidéosurveillés de Lyon, Archives municipales de Lyon,
2631WP19.
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