Revue - Droit et société n°118-2024 - 102

Laure Bonnaud et Emmanuel Martinais
début du processus. Ces différents retours sur le texte sont ensuite mis à profit
pour finaliser une version projet qui, dans un troisième temps, conduit à solliciter
les autres ministères intéressés, dans le cadre de réunions spécifiques pilotées par
le SGG et destinées à la production d'un « bleu », c'est-à-dire une version officielle
tenant compte des arbitrages effectués à cette étape et validés par le cabinet du
Premier ministre31. Une fois « bleui », le texte entame enfin la dernière séquence du
processus, marquée par les interventions successives du Conseil d'État, du Conseil
des ministres, du président de la République et, à la toute fin, du Parlement qui
doit ratifier l'ordonnance pour lui conférer sa valeur législative32. Dans cette phase
aval en quatre grandes séquences, l'administration doit donc à nouveau composer
avec de très nombreux acteurs, dont une partie ont déjà été sollicités au moment
de la prise d'initiative et de la mise à l'agenda. Le jeu est cependant plus ouvert,
parce qu'il conduit à détailler les principes de la réforme et qu'il offre des prises
beaucoup plus nombreuses aux parties prenantes susceptibles de peser sur ces
contenus et favoriser des évolutions contraires au cadrage initial. Focalisée sur
l'écriture de l'ordonnance et de ses principaux textes d'application, cette seconde
partie vise à montrer comment les fonctionnaires de la DGPR s'y prennent pour
intégrer ces contraintes supplémentaires, limiter au maximum les possibilités
de « détournement » des textes qu'ils rédigent et, dans ces conditions, préserver
jusqu'au bout leur emprise sur le projet de réforme. En élargissant le point de
vue à l'élaboration des arrêtés de prescriptions, cette seconde partie insiste en
même temps sur les limites de cette emprise administrative, en montrant qu'elle
est toujours susceptible d'être contrariée par des interventions, non anticipées,
des pouvoirs politiques.
II. 1. Un processus d'écriture soumis à des pressions multiples
Comme indiqué plus haut, l'écriture d'une ordonnance est un travail collectif qui
implique des interactions suivies avec un grand nombre d'acteurs, coopératifs
ou revendicatifs, dont les pressions, directes ou indirectes, peuvent influer sur le
contenu du texte et les orientations des règles ainsi prescrites. Pour les rédacteurs,
l'enjeu est donc de réguler au mieux ces jeux d'influence pour en limiter les effets
indésirables et faire en sorte que les formulations retenues à chaque étape du
processus d'écriture restent en phase avec les objectifs qu'ils visent. Comme dans
la séquence amont, cette capacité à réguler les interventions des parties prenantes
repose en grande partie sur des ressources de coordination et d'organisation.
Celles-ci leur permettent notamment de structurer les interactions dans une
31. Jean-Michel Eymeri-Douzans et Michel Mangenot, « Rouage ou centre de l'État ? (II.) Le Secrétariat
général du Gouvernement en actes », Revue française d'administration publique, 171 (3), 2019,
p. 629-650. DOI : 10.3917/rfap.171.0629.
32. Bien que symbolique, cette dernière intervention du Parlement est toutefois indispensable pour
codifier et mettre en œuvre le texte.
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