Revue - Droit et société n°118-2024 - 13

« Terrorisme », isolement carcéral et droits humains
en tension avec la réaffirmation des normes censées limiter l'arbitraire en détention.
Cette dynamique est alors intéressante à observer à partir d'un petit pays,
situé au milieu de l'Europe, touché moins directement que ses voisins par la lutte
politique armée et très fier de ses traditions démocratiques.
Notre analyse se fonde sur un corpus de sources hétérogènes, composé d'un
riche ensemble d'archives militantes produites par les collectifs qui contestent le
régime d'isolement carcéral. À celui-ci, s'ajoutent des documents diplomatiques
suisses et une procédure intentée contre deux personnes arrêtées en Suisse pour
des faits qualifiés de « terroristes » et qui contient des documents sur la coopération
policière internationale à côté des pièces classiques d'une instruction judiciaire,
ainsi que quelques sources issues des Archives fédérales.
Notre propos se décline en trois parties. Premièrement, nous accéderons à
l'expérience concrète d'isolement, vécue par Petra Krause, et à ses effets, grâce à
son témoignage publié dans une brochure en 1980. Ce document marque aussi
l'aboutissement de la vaste mobilisation suscitée par son cas. Pour lui faire écho
et attester par des archives publiques des conditions de détention des personnes
désignées comme « terroristes », nous ouvrirons le dossier d'instruction d'une
affaire similaire, mais dont l'accès nous oblige à rendre anonymes les individus et
les lieux cités. Puis, dans une deuxième partie, nous analyserons la mise en place à
partir de ces cas (et de ces archives) d'un réseau européen de coopération contre
le « terrorisme », avec un corpus enrichi par des documents diplomatiques. Enfin,
dans une troisième partie, nous montrerons, à partir des archives militantes, comment
la repolitisation se nourrit des expériences d'une vaste nébuleuse mobilisée
en faveur de la défense des « prisonniers politiques ».
I. Un régime d'isolement contraire aux droits fondamentaux
I. 1. Vols d'explosifs et de munitions dans les dépôts de l'armée et arrestations
à Zurich
Lors d'une conférence de presse du jeudi 10 avril 1975, le procureur général de
la Confédération suisse annonce que deux semaines plus tôt (le 26 mars), cinq
personnes soupçonnées d'avoir dérobé un impressionnant arsenal d'explosifs
et de munitions dans des dépôts de l'armée suisse ont été arrêtées à Zurich. Une
mine antichar aurait été utilisée contre la Manufacturers Hanover Trust Company
sur les bords de la Limmat en juin 1974. Le collectif aurait également eu en sa
possession de moyens de liaison avec « divers groupes terroristes en Europe.13 »
Parmi ces cinq personnes se trouve la ressortissante germano-italienne,
Petra Krause. Née en 1939 à Berlin, elle a été déportée dans sa petite enfance à
Auschwitz et a grandi dans une famille adoptive. Elle obtient la nationalité italienne
par mariage, mais quitte son pays d'adoption en 1974, recherchée par la police à
13. « Armes et munitions volées à l'armée. La bande ravitaillait des groupes terroristes de pays européens
», Gazette de Lausanne, 11 avril 1975, p. 7.
Droit et Société 118/2024 ■
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