Revue - Droit et société n°118-2024 - 14

Alix Heiniger
la suite de l'incendie de la filiale milanaise de l'entreprise International Telephone
and Telegraph (ITT)14. D'après un rapport du gouvernement suisse, elle aurait
été impliquée dans d'autres attentats sur le sol helvétique, à savoir ceux de l'ambassade
espagnole de Berne et de la Hanover-Trust-Bank à Zurich en juin 1974.
Ce document lui attribue aussi la fabrication de faux papiers, le vol d'explosifs et
d'armes avec le groupe zurichois, la livraison de matériel (explosifs, mines) aux
« terroristes italiens » et d'armes automatiques et d'explosifs aux « terroristes
allemands » début 1975 ; la source de ces renseignements n'est pas précisée, tandis
que Krause se refuse à toute déclaration. L'assertion la plus détaillée concerne
« des relations avec le groupe terroriste " Carlos " [Ilich Ramirez Sánchez] qui opère
depuis Paris dès 1975. Il est certain que les anarchistes zurichois ont livré des
mines antichars à ce groupe. Nous ne connaissons pas à ce jour l'ensemble des
relations entre Petra Krause et les gens de " Carlos " . Mais on sait avec certitude
que Madame Krause a loué une voiture pour le groupe de Carlos à Genève sous
un faux nom le 19 juillet 197415. » Les autorités suisses sont ainsi convaincues de
détenir l'autrice de multiples infractions commises sur leur territoire, liée à au
moins trois groupes « terroristes » actifs dans autant de pays voisins.
Au mois de septembre 1975, Petra Krause ainsi que ses compagnons arrêtés à
Zurich entament une grève de la faim afin de dénoncer les « conditions inhumaines »
d'incarcération dans la prison zurichoise ainsi que le régime d'isolement mis en
place dans toute la Suisse, et de déclarer leur profonde solidarité avec celles et
ceux qui subissent la persécution franquiste, de même qu'avec « tous les combattants
militants antifascistes et anti-impérialistes dans le tiers et quart monde »16.
La mobilisation déclenchée par cet acte se prolonge pendant plusieurs années
et trouve des relais à l'étranger. Tel que nous le verrons dans la troisième partie
de cet article, elle s'inspire elle-même d'autres actions similaires dans les pays
voisins. Cinq ans plus tard, Petra Krause décrit minutieusement ses conditions de
détention dans une brochure consacrée à l'isolement carcéral en Suisse, publiée
par les éditions marxistes-léninistes « Que faire ? »17. Nous reviendrons par la suite
sur la fonction de ce document dans les mobilisations en faveur de la préservation
des droits fondamentaux des détenu·es. Il convient dès à présent d'aborder cette
source pour ce qu'elle nous dit de l'expérience vécue par Petra Krause entre son
arrestation, en mars 1975, et sa libération, en août 1977.
14. Marcel Gyr, « Die Terroristin, die der Schweiz Folter vorwarf » [La terroriste qui a accusé la Suisse
de torture], Neue Zürcher Zeitung, 15 septembre 2017.
15. Dodis n° 50243, cité. [notre traduction]
16. Archives privées de Bernard Rambert, Petra Krause Bezirksgefängnis Zürich [Prison du district
de Zurich, grêve de la faim], Hungerstreik, 17 septembre 1975. [notre traduction].
17. Archives contestataires (Genève) (ci-après, AC), Collectif d'auteurs, L'isolement carcéral en
Suisse. Témoignage de Petra Krause, [s.l.], Éditions Que faire ?, 1980. Sur les éditions Que faire ?,
voir : Frédéric Deshusses et Stefania Giancane, « " Des livres dont on pense qu'ils sont indispensables
à une perspective de changement social " : entretien avec Bernard Clerc », in Frédéric Deshusses et
Stefania Giancane (dir.), Traces et souvenirs de la contestation. Charles Philipona, Genève : Association
des archives contestataires, Éditions d'en bas, 2013, p. 91-106.
450 ■ Droit et Société 118/2024

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