Revue - Droit et société n°118-2024 - 15

« Terrorisme », isolement carcéral et droits humains
I. 2. Témoigner des effets physiologiques de l'isolement
Pendant les sept premiers jours de sa détention, qui commence le 20 mars18,
Krause n'a de contact qu'avec les policiers de la caserne de Zurich et ceux chargés
de son interrogatoire. Depuis sa cellule, elle ne peut pas voir l'extérieur. Elle se
sent régulièrement observée par le judas, ce qui l'empêche d'utiliser les toilettes
et la gêne quand elle se déshabille pour le coucher. Elle perd le sens du temps. Par
ailleurs, bien qu'elle entende des bruits autour d'elle, cela ne l'aide pas tellement à
s'orienter. Le matin du vendredi 21 mars, elle perçoit les pleurs d'une femme qui
s'amplifient pour devenir une intense plainte, puis des appels à l'aide. Les autres
détenu·es se mettent à crier et à taper. Bientôt, elle sent de la fumée et comprend
que la femme qui pleurait a mis le feu à sa cellule :
Durant la scène, j'avais suivi la situation en retenant mon souffle « en position de défense ».
Par la suite, c'est toute une reconstitution de la situation qui se déroula en moi. La femme
aurait pu à la limite périr, personne parmi nous - impuissants dans nos cellules verrouillées
- n'aurait pu faire quoi que ce soit pour elle. Elle doit avoir été dans un désespoir atroce
pour en arriver à se brûler vive.
Mes nerfs cédèrent : cramponnée à ma colonne, je hurlais sans retenue et cela me déchargeait
bien plus que la simple prise de conscience de mon impuissance à intervenir dans cette
foutue taule19.
Elle décrit là un fort sentiment d'impuissance doublé de la crainte de subir
une détresse similaire à celle de cette femme. Plus tard, Krause apprendra par les
policiers qui l'interrogent que la cigarette et l'allumette à l'origine de l'incendie
constituaient une récompense. Alors qu'elle-même demande du tabac depuis
presque une semaine et qu'on fume abondamment autour d'elle pendant les interrogatoires,
le message est limpide : si elle se décide à parler, elle sera récompensée.
Elle est également privée des moyens d'hygiène élémentaires (savon, shampoing,
brosse à dents, dentifrice) pendant les cinq premiers jours ; sa première douche
interviendra le mercredi 26 mars, soit après presque une semaine de détention.
Elle conserve aussi les vêtements qu'elle portait lors de son arrestation jusqu'à
cette date et dit avoir eu vraiment froid dans sa cellule. Le samedi 22 mars, elle
est victime de premières hallucinations visuelles. Le troisième jour, elle se sent
anéantie, frappée de dépression. Elle lit une inscription au sol : « Faites de la gymnastique,
chantez des chansons révolutionnaires », des conseils qu'elle tente de
suivre à la mesure de ses forces. Elle refuse obstinément de répondre aux questions
et demande régulièrement l'assistance d'un avocat, en vain.
Cette description très minutieuse des conditions d'incarcération constitue
un précieux témoignage de pratiques également en usage dans d'autres pays.
L'expérience décrite par Krause correspond, dans une certaine mesure, aux effets de
18. Le communiqué de presse zurichois parle d'une arrestation le 26 mars, date reprise par la presse,
alors que Petra Krause évoque dans son témoignage la date du 20 mars ce qui correspond à la date
citée dans une note du Département fédéral de Justice et Police de juin 1976 (dodis n°50243). La date
fournie à la presse était donc erronée.
19. L'isolement carcéral en Suisse, op. cit., p. 19.
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