Revue - Droit et société n°118-2024 - 17

« Terrorisme », isolement carcéral et droits humains
demi-heure, quatre fois par semaine. Son fils vient la voir tous les quinze jours,
mais chacune de ces visites lui impose un long et pénible processus d'attente.
C'est durant cette période qu'elle entame ses deux premières grèves de la faim,
du 17 septembre au 3 octobre 1975 (22 jours) et du 19 juin au 31 juillet 1976
(42 jours).
Cette phase est décrite comme particulièrement pénible sur le plan psychologique.
Elle dit ne pas être la seule détenue de cette prison à subir l'isolement
23 heures par jour. En effet, lors des promenades, elle est confrontée aux souffrances
des autres détenues, certaines pleurant constamment. Elle entend aussi dans sa
cellule leurs cris, qu'elle attribue à la douleur et au manque de drogue. Elle expérimente
alors les effets physiologiques de l'isolement : fatigue, bourdonnements
dans la tête, manque d'air, étourdissements, vomissements, forte chute de cheveux,
atrophie musculaire, sentiment de froid dans les extrémités, perte de poids, gonflement
des ganglions lymphatiques, dérèglement du cycle menstruel (saignements
de dix à quatorze jours à des intervalles de dix à quatorze jours). Sa perception du
temps se dégrade de même que le langage, à tel point qu'au printemps 1976, il lui
arrive de lire plusieurs fois le même journal sans s'en rendre compte. Elle cherche
de plus en plus ses mots et n'arrive qu'avec difficulté à converser avec plus d'une
seule personne. Ses gestes s'embrouillent, comme lorsqu'elle actionne le robinet
du lavabo alors qu'elle croit tirer la chasse d'eau. Ses symptômes prennent une
intensité plus importante que ceux décrits dans la Revue pénale suisse. La richesse
de ce témoignage réside en outre dans la durée de l'isolement et dans les effets qui
y sont décrits au fur et à mesure. Il est également précieux parce qu'en observant
ces effets, Krause cherche à reprendre le contrôle de son quotidien, ce qu'elle ne
parvient à faire qu'avec peine malgré ses différentes stratégies.
Après le transfert à la prison du district de Winterthour, où elle restera entre
septembre 1976 et mars 1977, son régime de détention s'assouplit, son état
s'améliore et elle tente de renforcer la solidarité avec les détenues qu'elle côtoie
lors de la promenade. Elle entretient notamment une correspondance clandestine
avec certaines et crée le Front unitaire des Détenues qui réclame l'amélioration
des conditions d'incarcération. Elle subit une rechute lors de la dernière phase de
sa détention à la prison de district d'Affoltern am Albis qui se prolongea jusqu'au
15 août 1977. Sa cellule est plus grande et plus propre, elle bénéficie de l'attention
du directeur et de son épouse ainsi que du personnel exclusivement masculin.
Pourtant, elle ne parvient plus à résoudre des problèmes même très simples, ses
pertes de mémoire augmentant. En plus de la fatigue et de l'apathie, elle subit
des crampes musculaires, des accès d'agressivité et des pleurs. Elle n'arrive plus
à accomplir qu'une seule tâche par jour. Durant cette dernière phase, la brochure
la décrit comme extrêmement affaiblie alors qu'elle ne pèse plus que 37 kilos.
Néanmoins, elle tente de garder la maîtrise de son temps et de son corps : « [...] elle
continue, malgré les douleurs, à faire un minimum d'activité physique, ce qu'elle
nomme " routine de la vie végétale en cellule " .23 » Après la libération de Krause, un
psychologue qui a réalisé un entretien avec elle, publié dans la même brochure,
23. AC, Collectif d'auteurs, L'isolement carcéral en Suisse, op. cit., p. 43.
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