Revue - Droit et société n°118-2024 - 23

« Terrorisme », isolement carcéral et droits humains
III. Une mobilisation transnationale efficace contre la répression
et l'isolement carcéral
III. 1. Des mobilisations en faveur des prisonnier·ères politiques
Le samedi 19 juin 1976, Petra Krause entame avec une autre prisonnière une
deuxième grève de la faim, largement commentée dans les journaux helvétiques.
Elles réclament la fin de l'isolement pour tous·tes les détenu·es, l'abolition des
interdictions arbitraires de parler, une heure quotidienne d'air frais et le retrait
des volets placés devant les fenêtres des cellules, ainsi que le droit de choisir un
médecin de confiance40.
Les grèves de la faim, la publication de revendications reprises ensuite par les
collectifs militants, et éventuellement, par la presse font partie d'un ensemble d'actions
initiées dans d'autres pays d'Europe dans des situations similaires d'isolement
carcéral vécues par des membres de groupes armés révolutionnaires. En ce sens,
les différents collectifs observent les actions des uns et des autres et s'en inspirent.
Par exemple, en Allemagne, les membres de la Rote Armee Fraktion dénoncent le
régime d'isolement, comme une « détention de destruction » (Vernichtungshaft)
qu'ils et elles comparent à une « tradition nationale-socialiste »41. En 1974, des
comités se forment dans différentes villes pour réclamer l'abolition de la torture par
l'isolement. En France, l'un d'entre eux réunit Michel Foucault, Simone de Beauvoir
et Jean-Paul Sartre42. Ce dernier publie la même année dans le journal Libération
un texte intitulé « La mort lente d'Andreas Baader43 » après lui avoir rendu visite.
Baader proteste alors par une grève de la faim contre les conditions de sa détention
dans une cellule peinte en blanc où la lumière est allumée 23 heures par jour et
où aucun bruit ne traverse les murs. L'absence de communication avec des tiers
provoque des troubles profonds comme ce fut le cas de Krause. Sartre réclame
qu'il soit traité selon les « droits de l'Homme ». La référence récurrente aux droits
de l'Homme et à leur respect dans les prises de position et les publications, y compris
en Suisse, vise à placer les autorités face à leurs propres contradictions, alors
qu'elles ont pris des engagements devant l'ONU et le Conseil de l'Europe qu'elles
transgressent allégrement au nom de mesures sécuritaires contre les personnes
désignées comme « terroristes ».
En Suisse, l'année 1975 connaît plusieurs mobilisations de ce type en faveur
des « prisonniers politiques » de la part de différents collectifs : les sections du
40. « Deux détenues entament une grève de la faim », Journal de Genève, 23 juin 1976, p. 11.
41. Sabine Bergstermann, Stammheim: eine moderne Haftanstalt als Ort der Auseinandersetzung
zwischen Staat und RAF [Stammheim : un centre de détention moderne comme lieu d'affrontement
entre l'État et la RAF], Berlin, Boston : De Gruyter Oldenbourg, 2016, p. 102-105.
42. Ibid., p. 117.
43. Jean-Paul Sartre, « La mort lente d'Andreas Baader », Libération, 7 décembre 1974, p. 3. Membre
de la RAF, Andreas Baader est arrêté en juin 1972 à Francfort après avoir été condamné pour l'incendie
d'un grand magasin et qu'il s'était évadé en 1970.
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