Revue - Droit et société n°118-2024 - 27

« Terrorisme », isolement carcéral et droits humains
sion, car selon lui, conçue de cette manière, la libération serait mieux comprise
dans l'opinion publique61. Cette manœuvre permet aux autorités de sauver la
face, en l'occurrence d'empêcher que celle qui est désignée depuis plus de deux
ans comme une dangereuse « terroriste » ne puisse échapper à un jugement et,
surtout, à la captivité. À peine libérée, Krause est donc à nouveau arrêtée sur ordre
des juges fédéraux pour être maintenue encore douze jours en isolement avant
son extradition formelle.
Les conséquences pour l'image de la Suisse s'avèrent fâcheuses, si on en croit un
haut fonctionnaire du Département fédéral des Affaires étrangères, qui note que :
« De l'avis de notre ambassade à Rome, cette affaire nous a causé davantage de tort
en Italie que le scandale du Crédit suisse à Chiasso62 lui-même. » La campagne de
presse lancée un mois plus tôt et relayée par des journaux « même modérés » a causé
un grand tort aux relations bilatérales entre les deux pays. L'épisode du revirement
à la libération de l'intéressée a encore renforcé l'image désastreuse produite par
cette affaire. Ce même fonctionnaire constate en conclusion : « L'isolement infligé
aux détenus dans les prisons suisses est, disent les journaux italiens, une lourde
épreuve psychologique. (Un journal prétend qu'il y a eu 35 suicides dans les prisons
suisses au cours des deux dernières années !) » Ce cadre de l'administration
semble surpris par l'évocation de ces 35 suicides, qui seront pourtant confirmés
par une enquête fédérale dont les résultats sont publiés un an plus tard63.
À propos de Krause, il remarque :
Au plan psychologique, on ne saurait méconnaître que Petra Krause, bien que terroriste,
bénéficie en Italie d'un préjugé favorable parce que malgré son âge peu avancé (38 ans), elle
est une rescapée de Dachau [il confond Dachau et Auschwitz], où elle a été emmenée à l'âge
de trois ans et a subi, paraît-il, de graves sévices qui affecteraient encore son psychisme. On
fait observer de surcroît qu'elle n'est même pas accusée d'un seul meurtre64.
Un peu plus de deux semaines plus tard, alors qu'entre-temps Petra Krause a
été extradée vers Naples65, l'ambassadeur de Suisse à Rome note à son tour qu'« un
tort très grand a été fait à notre image », car « la campagne met en cause la qualité
d'état (sic) de droit de notre état (sic), notre justice, notre système judiciaire et
61. Dodis n° 50021, cité.
62. En avril 1977, la découverte d'un montage financier par le directeur de la filiale du Crédit suisse à
Chiasso destiné à alimenter la société Texon au Lichtenstein avec les dépôts d'une clientèle essentiellement
italienne et ainsi réaliser des opérations garanties par la banque provoque un scandale financier
et la perte de 2,2 milliards de francs de l'époque. Alertée à plusieurs reprises, la direction générale
de la banque n'agit pas jusqu'à ce que l'affaire vacille à cause de la dépréciation de la lire italienne et
des pertes engendrées par les investissements malheureux de Texon qui ne peut plus rembourser ses
crédits. Voir : Max Mabillard et Roger de Weck, Scandale au Crédit Suisse. « L'affaire de Chiasso », ses
coulisses et ses principaux acteurs sous la loupe de deux journalistes, Genève : Tribune Éditions, 1977.
63. AFS, E 4110 B, #1988/99*59, « Suicides et produits psycho-pharmaceutiques en prison ». Rapport
de la Division fédérale de la justice sur les cas de suicides durant la détention préventive et dans les
établissements d'exécutions des peines [...], août 1978.
64. Dodis n° 50239, Note au Chef du Département. Affaire Petra Krause (résumé des aspects intéressants
au point de vue de nos relations avec l'Italie), Direction politique, Berne, 8 août 1977.
65. Elle sera enfermée à la prison de Pozzuli le 15 août jusqu'à sa libération le 24 août 1977. Son état
de santé est alors jugé très préoccupant. (AC, Collectif d'auteurs, L'isolement..., op. cit., p. 44-45.)
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