Revue - Droit et société n°118-2024 - 30

Alix Heiniger
personne pour protester. » Elle apparaît dans ce contexte comme un avertissement
sur l'évolution de la situation politique européenne adressé aux personnes
qui se croient à l'abri de la répression. S'il reste toujours difficile de mesurer la
réception des publications de ce type, le commentaire du quotidien La Suisse,
aux positions très éloignées de celles de la gauche radicale, offre en la matière un
éclairage intéressant :
Petra Krause fut le révélateur du cynisme inquiétant avec lequel on peut froidement, en Suisse,
soumettre un détenu à un régime inhumain, spécialement lorsqu'on le prolonge. L'isolement,
c'est la mort, pour n'importe qui. À petit feu, mais certaine. Pas une mort biologique, mais non
moins réelle. Car l'homme est fait pour vivre en relation. Il se réalise dans un rapport vécu, où
il vérifie son identité. Le couper des autres, c'est le détruire, sûrement76.
C'est bien ce que souhaite l'éditeur : montrer que ce cas est un révélateur d'une
pratique qui se poursuit à la fois dans le domaine des mauvais traitements infligés
en détention77 et du renforcement des moyens de répression78. Cependant, il est
intéressant de noter que le journaliste évoque ce cas comme une pratique en cours
« en Suisse » alors que le discours des collectifs vise, comme nous l'avons vu, à
inscrire ces méthodes répressives dans un dispositif européen, voire international.
Conclusion
Le régime d'isolement subi par Petra Krause et d'autres personnes dans les prisons
suisses et européennes constitue une des modalités d'un ensemble de mesures
censées protéger l'État des actes de « terrorisme ». Mais comme le souligne un juriste
dans les années 1980, ce raisonnement recèle un dilemme puisqu'en prétendant
défendre la démocratie contre le « terrorisme » les autorités portent préjudice à
cette dernière en ne respectant pas les principes censés la caractériser79. Les droits
fondamentaux connaissent en outre un renforcement et s'appliquent désormais
également à la privation de liberté avec l'adoption de règles minimales. Les collectifs
militants ont ainsi pu se saisir de l'argument du respect du droit pour ancrer
leur discours remettant en cause l'existence de l'État de droit dans un registre
légitimé par les engagements pris dans les arènes internationales. C'est bien cette
remise en cause de sa qualité d'État de droit qui froisse les autorités suisses et
c'est également cet argument qui provoque le soutien des députées italiennes. En
saisissant ce nouveau cadre normatif, la contestation place les autorités en face
de leurs propres contradictions. Les collectifs de la gauche radicale mobilisent
alors cet argument pour repolitiser le conflit qui les oppose à l'État en requalifiant
76. Alain Dupraz, La Suisse, 9 mars 1980.
77. AC, Librairie Que faire, série 1, dossier Isolement carcéral, Lettre (circulaire) aux Rédacteurs,
Genève, 5 mars 1980, Bernard Clerc.
78. AC, Isolement carcéral dossier des Éditions Que faire ?, Service de presse [s.d.].
79. Gérard Soulier, « Lutte contre le terrorisme et droits de l'homme », art. cité.
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