Revue - Droit et société n°118-2024 - 59

Ce que la massification du contentieux des violences conjugales fait au travail
grille d'évaluation des violences. Et en fonction du nombre de croix qu'il y aura dans la case
de gauche ou dans la case de droite, c'est comme un constat amiable de bagnole quoi, c'est
en fonction du nombre de croix et on dira : « c'est urgent » ou « ce n'est pas urgent ». Grosso
modo c'est un peu ça. C'est n'importe quoi.
- Entretien, policier, Sainte-Marie, 30 juin 2022.
Sous l'effet de la massification du contentieux, s'impose une forme de standardisation
du travail d'enquête qui n'est pas toujours perçue comme efficiente
pour appréhender au mieux les faits ou les relations interpersonnelles entre les
protagonistes. Pour ce policier interviewé, la standardisation et la bureaucratisation
de l'accueil des victimes risquent de fragiliser le climat de confiance qui lui
apparaît nécessaire pour voir la victime collaborer à l'enquête.
Une audition ne se passe pas comme ça, c'est contraire à la formation reçue car trop impersonnel...
Je laisse la personne parler, je commence par l'histoire du couple, la naissance des
enfants, l'ambiance dans le couple.
- Entretien, gendarme référente VIF, Forton, 13 juillet 2022.
Les réserves de cette gendarme portent moins sur la trame d'audition en ellemême
que sur l'automaticité de son utilisation. La trame peut conduire certains
enquêteurs à limiter et dénaturer le travail d'audition. Alors qu'il s'agit d'une trame
pour orienter l'audition, elle est parfois comprise « comme un questionnaire à
remplir » : on s'en contente « sans vraiment faire un travail en profondeur. »
La massification du contentieux des violences conjugales favorise également une
tendance à la standardisation de la réponse pénale, d'autant que les alternatives
aux poursuites ne sont plus de mise dans la juridiction enquêtée à l'exception de
la composition pénale. Malgré les précautions oratoires utilisées par la magistrate
(« il n'y a rien de mathématique »), une forme de standardisation de l'orientation
des violences conjugales y a aujourd'hui cours afin de « sécuriser » leur traitement,
c'est-à-dire de protéger par anticipation les professionnels en cas de problème.
Sur la décision, [...] ça a été un travail que moi j'ai mené et que je trouvais indispensable, [...] de
poser au clair, noir sur blanc, des critères qu'il faut prendre en compte pour choisir la réponse
pénale adaptée. Alors évidemment il n'y a rien de mathématique. Le magistrat de permanence
a une latitude assez importante quand même dans chaque situation, mais l'idée c'était qu'on
ne soit pas démuni au téléphone en disant : « Qu'est-ce que je fais ? Je ne sais pas ». On a quand
même posé des critères. Le procureur a signé, est d'accord, c'est ces critères-là. Et l'idée, c'est
aussi que quand on prend une décision, après s'il y a un souci, si c'était finalement rétrospectivement
pas la bonne décision, que nous on puisse dire aussi : « Écoutez, nous on a appliqué
la politique pénale. Dans telle situation, j'ai pris en compte tous les critères. Il était préconisé
de faire soit telle, soit telle, soit telle réponse et maintenant, derrière, il a recommencé, il
n'y avait aucun élément qui pouvait laisser penser qu'il y avait un risque de réitération plus
important dans ce dossier que dans d'autres. » Donc voilà l'idée c'est aussi de prendre des
décisions dans un contexte un peu plus sécurisé, d'avoir aussi un guide.
- Entretien, substitute du procureur, tribunal de Trian, 29 juin 2021.
Les explications de la magistrate relativement à ce qu'elle qualifie de « mémento »
ou de « guide » à appliquer pour orienter les violences conjugales au niveau du parquet
révèlent une standardisation assez poussée de la décision (avec objectivation
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