Revue - Droit et société n°118-2024 - 85

Pression anomique de la numérisation
tions actuelles vite dépassées. À ce titre, on se souvient que, lors des débats relatifs
à la Loi Informatique et Libertés de 1978, Alain Peyrefitte reconnaissait que « la
loi que nous proposons a un caractère expérimental ». On pense également à la
Loi du 21 juin 2004 pour une confiance dans l'économie numérique qui transpose
avec deux années de retard et au bout d'un délai total de quatre années la
Directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique ;
on se souvient du RGPD du 27 avril 2016, entré en vigueur en mai 2018, dont les
travaux de réflexion puis de rédaction avaient commencé dès 201284 soit quatre
années pendant lesquelles les technologies n'ont cessé d'évoluer. On peut enfin
citer la loi de juin 202385 qui a fait de la France l'un des premiers États européens
à encadrer l'activité d'influenceur. Six mois à peine après son entrée en vigueur,
la réécriture du texte était déjà annoncée86.
La révision régulière des textes suppose d'exercer une veille sur l'évolution des
termes qui permettent de nommer l'évolution technique en question. Pour cela,
le législateur utilise également une stratégie linguistique en se gardant de viser
trop précisément une technologie particulière ou d'ériger en notion juridique
une technologie qui va changer de nom ou être remplacée par une autre87. « Le
législateur français utilise par exemple l'expression de " dispositifs d'enregistrement
électronique partagé permettant l'authentification des opérations88 " pour
nommer les blockchains89 ». De son côté, dans son Règlement sur l'IA, le législateur
européen a choisi une définition très large du système d'intelligence artificielle
pour pouvoir donner aux règles applicables un caractère plus générique90, et ainsi
inclure tous les types d'IA à venir sans qu'il soit nécessaire de modifier le texte.
Les stratégies juridiques de réponses à la pression numérique sont multidimensionnelles.
Leurs dimensions d'anticipation et d'accompagnement ont été
explorées par le législateur (national et européen) pour essayer de produire un
droit plus pragmatique, plus efficace et plus adapté aux évolutions technologiques.
En conclusion, cette recherche permet de comprendre la logique de construction
du droit du numérique. Elle montre comment ce droit se développe sous l'effet
d'une pression anomique. Il s'agit en effet d'un droit particulièrement complexe en
raison de son caractère foisonnant, pluridisciplinaire et technique. Transcendant
84.
85.
Loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les
dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, JORF n° 0133, 10 juin 2023.
86. Le gouvernement veut réécrire partiellement la loi sur les influenceurs (lemonde.fr, 17 novembre 2023),
car certaines dispositions de la loi semblent contredire le Digital Services Act.
87. Vincent Gautrais, Neutralité technologique : rédaction et interprétation des lois face aux technologies,
Montréal : Éditions Thémis, 2012.
88. Art. L. 223-12 du code monétaire et financier.
89. Exemple cité par Arnaud Latil, Le droit du numérique, op. cit., p. 30.
90.
Droit et Société 118/2024 ■
521

https://edps.europa.eu/data-protection/data-protection/legislation/history-general-data-pro http://www.lemonde.fr https://eur-lex.europa.eu/content/techleg/FR-guide-de-redaction-legislative.pdf

Revue - Droit et société n°118-2024

Table des matières de la publication Revue - Droit et société n°118-2024