Revue - Droit et société n°118-2024 - 94

Laure Bonnaud et Emmanuel Martinais
I. Une phase amont fortement cadrée par l'administration
En matière de production normative, deux configurations peuvent être distinguées12.
Dans la première, qui est aussi la moins fréquente, les fonctionnaires de l'administration
centrale sont sollicités et mis à contribution par les pouvoirs politiques dont
ils dépendent, parfois avec des homologues d'autres ministères, pour mettre en
forme des textes dont ils n'ont pas l'initiative. Beaucoup plus courante, la seconde
situation correspond à tous les autres textes qui ne trouvent pas leur origine dans
une impulsion gouvernementale. Dans cet autre cas de figure, l'initiative revient
aux services ministériels, le plus souvent dans le but de résoudre des problèmes
d'application de la règle existante, de répondre à des demandes des groupes
d'intérêt, voire de légaliser des pratiques déjà bien ancrées13. Dans le domaine
de la régulation des pollutions et risques industriels, Pierre Lascoumes rappelle
ainsi que le droit s'impose moins en se diffusant du centre vers la périphérie qu'il
ne se crée en remontant du terrain : « C'est en effet en très grande partie l'état
préexistant des normes secondaires territorialisées et leurs problèmes de mise
en cohérence générale qui oriente le renouvellement des normes centrales14 ». La
création du régime d'enregistrement correspond précisément à ce cas de figure,
puisque c'est bien le service ministériel compétent, en l'occurrence la DGPR du
ministère de l'Environnement, qui propose de faire évoluer la législation existante
en réaction à un problème spécifique qui tend à limiter ses capacités d'action et à
contrarier l'exécution des programmes d'action publique dont il a la charge. Dans
cette première partie, il s'agira donc de montrer comment les fonctionnaires de la
DGPR procèdent pour faire reconnaître l'opportunité d'un tel projet de réforme,
le légitimer et le faire endosser par toute la chaîne hiérarchique, jusqu'au sommet
du ministère, pour finalement obtenir son inscription à l'agenda législatif du
gouvernement, tout en décidant du véhicule juridique qui permettra in fine de le
concrétiser.
I. 1. Un travail préalable de problématisation et de mobilisation
Les fonctionnaires à l'origine du régime d'enregistrement sont des cadres intermédiaires
de la DGPR, chefs et chefs adjoints de bureau, investis dans le pilotage
des services locaux chargés du suivi administratif et du contrôle des installations
classées. En prise directe avec le terrain, ils sont idéalement placés pour reconnaître
12. À ce propos, voir notamment Claude Durand-Prinborgne, « L'administration centrale de l'Éducation
nationale et la fabrication des normes », art cité.
13. Edward C. Page, « France: A Cross-Pressured Bureaucracy », in Id., Policy without politicians, op.
cit., p. 26-46. DOI : 10.1093/acprof:oso/9780199645138.001.0001.
14. Pierre Lascoumes, « La technocratie comme extension, cumul et différenciation continus des
pouvoirs. Le cas des politiques d'environnement », in Vincent Dubois et Delphine Dulong (dir.), La
question technocratique, Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 1999, p. 195.
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