Penser l'action publique-1 - 68

68 Penser l’action publique révélateur des tensions qui peuvent résulter d’un manque de congruence de ces mêmes éléments. Nous ne croyons pas que l’on puisse dire que « l’action, comme le monde, est brisée » 39. Toute situation d’action est définie par la présence d’acteurs multiples dont le comportement n’est jamais totalement prévisible, de règles toujours incomplètes qui nécessitent qu’on les interprète, de significations culturelles diverses, etc. Que l’acteur vive ces éléments à travers des tensions ne signifie pas que l’action soit éclatée, elle est bien plutôt une réponse qui nous renseigne sur sa capacité à s’y ajuster et selon quelles modalités, y compris déviantes. Ce n’est pas l’action sociale qui n’a pas d’unité, c’est la société dès lors qu’on ne la perçoit plus comme un univers intégré. Bien sûr, la société apparaît comme la juxtaposition de sphères et de rationalités différentes, on s’accorde aisément à le dire, mais cela reste de l’ordre du constat. Mais est-ce bien nouveau ? Déjà Weber l’avait déjà clairement identifié, et il est en fait le premier à avoir réellement pensé la pluralité des mondes vécus et les déchirements qui pouvaient en résulter pour les acteurs sociaux. N’oublions pas que le polythéisme des valeurs et la pluralité des sphères axiologiques, loin d’être une dimension quasi-ontologique de la condition humaine, sont pour lui l’effet de la diversification des pratiques au sein de champs d’action de plus en plus segmentés et autonomes. Le problème est bien plus aujourd’hui que cette réalité est devenue parfaitement visible aux acteurs parce qu’il n’existe plus de représentations qui puissent renvoyer l’image d’un monde unique ou d’une culture réellement dominante et partagée. Là encore ce n’est pas l’acteur et le système social qui se séparent, l’acteur n’a jamais été le système sauf dans l’ordre des représentations, éventuellement scientifiques. De toute façon, comme l’a bien fait ressortir Jean-Daniel Reynaud, l’acteur ne joue pas seulement dans le système, mais aussi avec le système, d’où du reste la limite de la métaphore ludique appliquée à la réalité sociales différentes dimensions que les sciences sociales ont éclatées. Seule une pensée du monde vécu peut y parvenir, c’est-à-dire une pensée qui impose une réflexion sur les problèmes qui sont ceux des acteurs plus qu’elle n’est déterminée par les questions que se posent ces disciplines à leur propos. Sans pour autant partager nécessairement les conclusions de l’auteur, nous pensons que ce point mérite fortement d’être développé. Cf. Jürgen HABERMAS, Théorie de l’agir communicationnel, tomes 1 et 2, Paris, Fayard, 1987. 39. François DUBET et Danilo MARTUCCELLI, Dans quelle société vivons-nous ?, op. cit.

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