Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 17

INTRODUCTION

Ensuite, la question de l'équivalence entre comparution en coprésence et à
distance a également été soulevée du point de vue non plus de la validité juridique mais de la qualité et de la profondeur des interactions judiciaires,
s'agissant du principe de l'oralité des débats 27. Dans quelle mesure les subtilités de la communication orale (modulations du ton, transmission d'émotion à
travers la voix...) disponibles en coprésence sont-elles accessibles par visioconférence ? La communication ne se résumant pas au transfert mécanique de paroles d'un locuteur vers un récepteur, dans quelle mesure le lien entre la parole
et la gestualité est-il recomposé par l'utilisation de la visioconférence ? Quels
peuvent être les effets du dispositif lui-même sur l'interaction en cours : effets
de cadrage, de zoom, de mise en scène au sens filmique du terme, qui conditionnent la perception de celui avec lequel on interagit et dont on évalue à la
fois la fiabilité en tant que personne (puis-je lui faire confiance ? tiendra-t-il ses
engagements ?) et la véracité de ses propos (le récit d'un témoignage est-il crédible ?) ? Ces questions débouchent sur une interrogation plus large sur
l'activité du juge et plus particulièrement sur la fabrique du jugement judiciaire : la décision que le juge doit prendre (quel que soit le stade auquel elle
intervient : sentenciel, pré ou post-sentenciel) est-elle affectée par le mode de
comparution de la personne ?
Enfin, les enjeux symboliques et politiques de la visioconférence pour la signification de l'audience publique ont également été pointés 28. Le procès est
une mise en scène, un drame qui vise à rejouer le conflit et qui opère selon le
procédé de la catharsis 29. Les places respectives de la victime, de l'accusé ou
du témoin renvoient à une économie de leurs relations sociales. Mettre à distance un participant - qu'il s'agisse du témoin ou de l'accusé et de son conseil - en lui permettant de contribuer à l'audience depuis un autre lieu, déstabilise cette économie symbolique de la justice sans lui proposer d'alternative : il
est placé quelque part hors l'espace organisé du procès. Et dans cette configuration, l'avantage de la visioconférence - permettre qu'un juge statue plus rapidement sur le cas d'une personne arrêtée par exemple - n'est pas nécessairement compensé par ses inconvénients 30. Les rituels, les procédures, les architectures ne pèsent plus le même poids lorsque la personne prend part à son procès depuis le commissariat de police où elle a été emmenée après un flagrant
délit par exemple. Cette justice n'est pas nécessairement perçue comme juste.
Rapide, elle peut être ressentie comme expéditive. En outre, la visioconférence
substituerait à « la confrontation des regards et des mots [...] une confrontation

27.
28.
29.
30.

nologies », Revue Procédures, 4, 2010, p. 22-29 ; Laure MILANO, op. cit ; Jean DANET, 2010,
op. cit.
Linda MULCAHY, Legal architecture: Justice, Due Process and the Place of Law, Routledge,
London, 2011 ; Jean DANET, 2010, op. cit.
Linda MULCAHY, op. cit., chapitre 8 ; Christian LICOPPE et Laurence DUMOULIN,
« L'ouverture des procès à distance par visioconférence : activité, performativité, technologie », Réseaux, 144, 2007, p. 103-140.
Antoine GARAPON, 2001, op. cit.
Emma ROWDEN, 2013, op. cit.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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