Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 172

LES AUDIENCES A DISTANCE

la visioconférence devient un des outils stratégiques du ministère pour résoudre
différents types de problèmes dont celui des escortes. Il tente alors de l'imposer
par divers canaux.
De ce constat empirique, deux conclusions plus analytiques peuvent être tirées. D'abord, le processus d'enrôlement de la visioconférence dans une logique de modernisation de l'administration et de rationalisation des dépenses
publiques qui a pour effet de managérialiser la visioconférence. Ensuite le
changement de statut de la visioconférence qui, d'innovation organisationnelle,
devient instrument d'action publique.
3.1. La managérialisation de la visioconférence
Revenons brièvement sur ce que nous entendons par la notion de managérialisation. De façon générale, celle-ci prend appui sur l'idée selon laquelle
l'État et les administrations publiques doivent rendre des comptes sur leur action 21. L'autorité et surtout son acceptation - sa légitimité - reposent de plus en
plus sur une capacité à rendre des comptes et à donner la preuve que tout a été
mis en œuvre non pas simplement pour agir mais pour produire des résultats et
utiliser au mieux les moyens alloués dans ce but. Le passage d'une logique de
réalisation à une logique de résultat change le sens même des activités qui sont
accomplies dans la mesure où ce ne sont plus seulement les objectifs qui importent (rendre une décision de justice) mais les manières d'y parvenir effectivement (dans quels délais et par quels moyens).
La logique managériale s'appuie sur la doctrine du New public management
(NPM), développée dans les années 1980, notamment aux États-Unis et en
Grande-Bretagne, elle-même ni uniforme ni homogène 22. Le NPM constitue un
« puzzle doctrinal » 23. Sorte d'archipel aux contours et logiques hétérogènes, il
fédère un « esprit gestionnaire » 24 porteur d'une critique des principes fondateurs du modèle wébérien de l'administration, lequel est considéré comme peu
efficace, lourd, coûteux, etc.
La « managérialisation » de la justice, analysée par de nombreux auteurs 25,
tiendrait non seulement d'une intensification des procédures destinées à rendre
des comptes, mais d'un changement de la rationalité - non plus juridique mais
21. Patrice DURAN, Penser l'action publique, LGDJ, Paris, Coll. Classics, 2010 [1999].
22. Christopher HOOD, « A Public Management for all Seasons? », Public Administration, 69,
printemps 1991, p. 3-19 ; Christopher POLLITT et Geert BOUCKAERT, Public management reform : a comparative analysis : new public management, governance, and the neo-Weberian
state, 3rd éd, Oxford, Oxford University Press, 2011 ; Philippe BEZES, « Construire des bureaucraties wébériennes à l'ère du New Public Management ? », Critique internationale,
2007/2, 35, p. 9-29.
23. Philippe BEZES, ibid. p. 18-19.
24. Albert OGIEN, L'esprit gestionnaire, Une analyse de l'air du temps, Éditions de l'EHESS, Paris
1995.
25. Loïc CADIET et Laurent RICHER (éd.), Réforme de l'État, réforme de la justice, Paris, PUF,
2003 ; Jean DANET, op. cit., 2010 ; Dan KAMINSKI, Pénalité, management, innovation, Namur, PUN, 2009 ; Frédéric SCHOENAERS et Christophe DUBOIS (éd.), Regards croisés sur le
nouveau management judiciaire, Presses universitaires de Liège, Liège, 2008.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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