Droit et Société - Les audiences à distance - 1re - 184

LES AUDIENCES A DISTANCE

distance, c'est bien alors réaffirmer une certaine forme de confiance dans la fécondité, la pertinence et la nécessité de l'interaction humaine et du débat judiciaire.
Ce qui reste néanmoins spécifique de la visioconférence, toutes configurations et contextes confondus, c'est qu'elle constitue une ressource pour que les
acteurs de la justice découvrent le coût économique de la comparution au tribunal. Avec la visioconférence c'est donc de fait une véritable politique de
l'interaction qui se met en place, une série d'arbitrages relatifs à une ressource
qui se raréfie (la possibilité de rassembler les éléments nécessaires à une audience en présence), et qui porte sur la détermination de qui doit être entendu
« corps présent » au tribunal, qui peut l'être de loin et selon quelle modalité58,
mais aussi plus dramatiquement, qui doit être entendu tout court. Pour certains
processus juridico-administratifs, la question peut en effet ne pas être un arbitrage entre comparution à distance ou comparution par visioconférence, mais
entre comparution ou pas comparution du tout (auquel cas les personnes seront
traitées sur la seule base de leur dossier écrit). La mise en place du dispositif de
visioconférence dans la justice et les épreuves qu'il occasionne révèle une véritable « politique de la comparution », ajustée aux différents types d'audience,
une négociation constante de quand et comment il est utile, convenable et juste
d'entendre effectivement les personnes dans le processus judiciaire.
Bien que l'implantation de cette technologie soit restée jusqu'ici peu visible
dans le débat public, en dehors peut être de la discussion des textes de lois, et
que les épreuves auxquelles elle a donné lieu aient le plus souvent été gérées
localement, le cas de la visioconférence dans la justice touche bien néanmoins à
une question politique, sociologique et anthropologique de plus grande ampleur.
Ce n'est pas en effet que dans l'administration de la justice que nos sociétés
découvrent les coûts que présente la rencontre en co-présence avec le public, et
exploitent les technologies de communication pour arbitrer entre différentes
modalités d'échange. De nombreuses formes de rencontre entre les organisations ou les institutions et le public ont été également mises à l'épreuve d'une
rationalité économique et gestionnaire. La relation client dans les entreprises
s'est ainsi sans cesse restructurée en différent « canaux » ces vingt dernières
années, pour réduire le nombre des agences où les consommateurs venaient en
personne. Dans la santé, la question se pose depuis les visites chez le généraliste jusqu'aux formes les plus expertes d'intervention, dans le cadre de ce que
l'on appelle plus généralement la télémédecine. La presse a fait récemment
écho aux efforts faits par certaines entreprises high-tech pour supprimer
l'entretien de recrutement, et évaluer les candidats sur la seule base de leur dossier et des profils construits à partir des informations personnelles glanées sur

58. Nous avons vu comment une fois que le principe de la visioconférence est installé, la question
de permettre des interventions par téléphone devient plus saillante.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 57, 2017

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