Droit et société - Relire Giddens - 1 - 120

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

auteur, Giddens voit une grande contradiction au cœur de la conception postmoderniste : « si le savoir n’a plus de fondement, comment prétendre fonder la notion même de postmodernisme comme transformation sociétale ? » On est dans une époque de dissolution de l’évolutionnisme et de prise de conscience de la réflexivité constitutive du savoir social, et le déclin relatif de l’Occident et de sa culture ne signifie pas tant la fin de la modernité que la globalisation qui la spécifie désormais 94. Giddens plaide pour une théorie critique de la modernité avancée. Nous nous trouvons dans le prolongement de ce qui a marqué le passage du XXe au e XXI siècle, une époque qui diffère radicalement de ce que l’on a connu précédemment. L’extrême dynamisme des institutions de la modernité, les discontinuités vis-à-vis des cultures et des modes de vie pré-modernes, ont pris un envol remarquable dans ce ‘monde qui fout le camp’ (pour reprendre les termes de Giddens qui ont servi d’intitulé à ce chapitre). Ce n’est plus seulement le rythme qui s’accélère, mais surtout l’ampleur et la profondeur des changements 95. Cela donne une impulsion nouvelle à la modernité 96, fondée sur de nouveaux dynamismes, dont les principaux sont la dissociation de l’espace et du temps (1), les mécanismes de ‘désenchâssement’ (2) et la ‘réflexivité institutionnelle’ (3). 1. L’espace et le temps sont des notions primordiales 97. Partout, chez Giddens, on trouve des réflexions intéressantes sur les processus d’intensification du temps, de séparation du temps et de l’espace, de dispositifs de combinaison et de recombinaison de cette dissociation, de nouveaux modes de distribution spatio-temporelle avec ses délocalisations et relocalisations. Cette disjonction spatio-temporelle crée les conditions d’une articulation des relations sociales à travers de grandes distances, ce qui inclut les systèmes globaux. Cela provoque des bouleversements dans l’ensemble des relations sociales, notamment celles du monde du travail. En effet, on constate aujourd’hui une différence entre ‘lieu’ et ‘espace’, le premier concernant un ‘site’, une ‘localisation’ géographique de l’activité sociale où dominent les relations de ‘co-présence’ physique. Par ailleurs, la dissociation entre ‘lieu’ et ‘espace’ permet l’installation d’’espaces vides’ ; ce ‘vide spatial’ n’est pas linéaire, car il opère dialectiquement. Maintes formes de ‘temps vécus’ sont possibles dans des situations sociales structurées par la séparation du temps et de l’espace. Cette scission fournit, au contraire, les bases pour de nouvelles formes de recombinaison spatiotemporelle aptes à coordonner des activités sociales qui n’ont pas besoin de se référer à des espaces situationnels 98. Giddens affirme : « The process of empty-

94. Loïc WACQUANT, « Au chevet de la modernité. Le diagnostique du Docteur Giddens », dans Cahiers internationaux de sociologie, XCIII, décembre 1992, p. 389-397. 95. Cf. Anthony GIDDENS, Modernity and Self-Identity. Self and Society in the Late Modern Age, Cambridge, Polity Press, 1991, p. 16. 96. Les conséquences de la modernité, op. cit., p. 52. 97. Ce thème a été abordé supra, dans les ch. 1 et 2. 98. Cf. Modernity and Self-Identity, op. cit., p. 17.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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