Droit et société - Relire Giddens - 1 - 122

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

ces passées importantes pour le présent, cela ne suffit pas à établir une relation de confiance. Giddens définit la confiance dans les termes suivants : « Trust presumes a leap to commitment, a quality of ‘faith’ which is irreducible. It is specifically related to absence in time and space, as well as to ignorance » 106. En fait, on n’a pas besoin d’avoir confiance en quelqu’un qui est constamment sous nos yeux et dont les activités peuvent être surveillées ; ces individus occupent des positions de ‘basse confiance’, celles de ‘haute confiance’ étant tenues par ceux qui se trouvent loin des gestionnaires ou de l’équipe de supervision. Ces attitudes de confiance, rapportées à des situations spécifiques, personnes ou systèmes, même à un niveau plus général, sont directement liées aux aspects de sécurité psychologique des individus et des groupes. Confiance, sécurité, risque et danger existent en tant que conjonctions historiquement uniques liées aux conditions de la modernité 107. Giddens débat alors avec Niklas Luhmann. Selon lui, les distinctions conceptuelles de ce dernier sont essentielles pour la compréhension de la notion de confiance, car il lie la confiance au risque. La notion de risque, apparue à l’époque moderne, est liée à la conscience du fait que des conséquences imprévues peuvent résulter des décisions et actions humaines. La confiance présuppose une conscience du risque, mais cette confiance-là ne s’identifie pas au ‘sentiment de sécurité’ qui évoque, chez Luhmann, la certitude ‘qui va de soi’ de la stabilité des choses familières. En revanche, lorsque l’individu est doté d’un ‘sentiment de confiance’, il est parfaitement conscient des choix possibles ; s’il n’examine pas leurs implications, il reste dans un ‘sentiment de sécurité passif’ ; s’il prend une décision en considérant des alternatives possibles et essaye de maîtriser les risques, il s’engage activement dans la confiance 108. En établissant ainsi la différence entre ‘sentiment de sécurité’ et ‘sentiment de confiance active’, cet auteur distingue danger et risque. Mais si Luhmann a raison lorsqu’il fait cette distinction, il a tort, selon Giddens, d’associer la notion de confiance aux circonstances particulières dans lesquelles les individus peuvent examiner en conscience différents modes de comportement. La notion de confiance chez Giddens est plus continue, elle est une forme particulière du sentiment de sécurité. Ce dernier critique également les notions de risque et de danger, notamment par rapport à l’affirmation de Luhmann selon laquelle ‘lorsqu’on s’abstient d’agir, on ne court aucun risque’. Pour Giddens, l’inaction est souvent risquée dans la mesure où, parfois, on est obligé d’affronter certains risques, tels que les catastrophes écologiques ou nucléaires. Dans sa conception, on décèle l’existence d’un lien naturel entre le ‘sentiment de sécurité passif’ et le ‘danger’, tout comme dans la théorie luhmannienne, qu’il rejoint ici 109.
Georg Simmel », dans Philippe BERNOUX et Jean-Michel SERVET (dir.), La construction sociale de la confiance, Paris, Montchrestien, 1997. Cf. Modernity and Self-Identity, op. cit., p. 19 : « La confiance suppose un saut vers l’engagement, une qualité de ‘foi’ qui est irréductible. Cela se rapporte spécifiquement autant à l’absence dans le temps et l’espace qu’à l’ignorance ». Ibid., eod. loc. Voir aussi Les conséquences de la modernité, op. cit., p. 131 et s. Les conséquences de la modernité, op. cit., p. 37 et s. Ibid., p. 39.

106. 107. 108. 109.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

120
Droit et société - Relire Giddens - 1

Table des matières de la publication Droit et société - Relire Giddens - 1
