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LA TROISIÈME VOIE

4.6 – La réforme du modèle social européen
La ‘révolution keynésienne’ en matière d’emploi et de sécurité sociale s’est fondée sur l’équation suivante : « économie de marché + intervention étatique = progrès social ». Pour Keynes, dans l’après-guerre, l’élargissement des fonctions traditionnelles de l’État est apparu comme le seul moyen possible d’éviter une complète destruction des institutions économiques et de développer l’initiative individuelle. À l’État incombait la responsabilité d’intervenir en matière de régulation sociale pour soutenir la demande au niveau du marché de biens économiques. Ce modèle social traditionnel comptait sur l’État pour résoudre les problèmes économiques, puisque le libre jeu des lois économiques ne suffisait pas à maintenir la stabilité économique ; il appelait également l’État à résoudre les problèmes sociaux, car l’évolution du capitalisme avait multiplié les conflits. La mise en œuvre, à la fois, d’une politique économique volontariste et d’une politique sociale stabilisatrice, a fait de l’État le tuteur de la société, considéré comme le seul capable de garantir le développement collectif et la protection de chaque citoyen. Cet État-providence traditionnel va changer aussi, dans la sphère du droit, la nature des rapports entre l’individu et l’État : aux droits-libertés viennent se substituer les droits-créances. En France, par exemple, la consécration de ces droits-créances a été réalisée par une inscription au Préambule de la Constitution de 1946, ce qui a constitué une véritable transformation de la conception des Droits de l’homme. À partir de là, ces droits-créances se sont traduits par un pouvoir d’exigibilité vis-à-vis de l’État, devenant des droits acquis. Les citoyens estiment pouvoir exiger sans cesse – et parfois sans limites – l’accomplissement des promesses faites au nom de l’État-providence. L’Étatprovidence devient un mythe. Anticipant les thèses de Giddens, au début des années 1980, Pierre Rosanvallon 80 affirmait déjà que, à cette demande illimitée, l’État ne pouvait plus répondre. Selon lui, il y avait urgence à ce que l’État s’affranchisse de l’impasse d’un choix politique fondé sur le couple d’opposition étatisation/privatisation 81 ; l’État ne pouvait plus envisager son avenir sur la base de deux modèles – le modèle ‘social étatiste’ et le ‘modèle libéral’ –, car ces modèles conduisent à une société à deux vitesses et opposent travailleurs ‘exposés’ et travailleurs ‘protégés’, dressant les uns contre les autres. La sortie de cette logique bipolaire ‘étatisation/privatisation’, suppose une autre conception de l’Étatprovidence. On doit dépasser l’idée selon laquelle ‘service collectif = État non marchand = égalité’. Rosanvallon proposait alors des alternatives à la crise de l’État-providence qui s’inscrivaient dans un triple mouvement : la réduction de

80. Cf. Pierre ROSANVALLON, La crise de l’État-providence, Paris, Le Seuil, 1981. Voir également, Jean-Paul FITOUSSI et Pierre ROSANVALLON, Le nouvel âge des inégalités, Paris, Le Seuil, 1996 (réédité en poche en 1998). Sur des thèmes connexes, voir aussi Dominique SCHNAPPER, La démocratie providentielle, Paris, Gallimard, 2002. 81. Pierre ROSANVALLON, op. cit., p. 109 et s.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011
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