Droit et société - Relire Giddens - 1 - 192

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

a-t-il paru nécessaire d’évoquer le débat sur la théorie critique 5. En quoi cela consiste-t-il ? Comment Giddens conçoit-il la théorisation critique au sein de sa pensée ? Une réflexion sur la théorie critique à l’œuvre sera le premier objet de cette conclusion. Nous avons, par ailleurs, trouvé pertinent de songer aux apports de la pensée de Giddens aux études sur le droit. A-t-il traité de l’objet droit ? Ses théorisations et ses concepts sont-t-ils utiles à une sociologie du droit, et laquelle ? Avoir tenu à diffuser en France la pensée de cet auteur sans se rapporter, ne serait-ce qu’à la fin de ces lignes, au champ du droit, s’avérerait un méfait inexcusable.

6.1 – De la critique à l’œuvre
L’approche de la théorie critique, ici, n’a d’autre prétention que de situer la manière dont Giddens a conçu le travail de la critique sociale. On peut dire, d’emblée, qu’il n’adopte pas les prémisses fondamentales de l’École de Francfort, notamment dans la mesure où cette dernière a développé une épistémologie matérialiste pour procéder à une critique systématique du positivisme. Pour Horkheimer et Marcuse, en effet, le positivisme réduit la connaissance empirique à la recherche des ‘faits’, en la disjoignant d’une ‘confirmation philosophique’ 6. En outre, la philosophie positiviste justifie les sciences à leur seul niveau méthodologique, les détachant tant de la conscience qu’elles ont de leurs racines sociétales, que de la connaissance de leurs objectifs pratiques. Cela conduit à un double écueil : d’une part, la négation de la structure pratique des théories scientifiques et, d’autre part, une insuffisance théorique. Ces auteurs de la première École de Francfort ont alors proposé une théorie critique matérialiste fondée sur une conception classique de la théorie marxiste de l’histoire, selon laquelle le processus de développement des forces productives est considéré comme le mécanisme central du progrès sociétal 7. En dépit du fait qu’il reconnaisse une influence de Marx sur sa pensée, Giddens adresse une sévère critique aussi bien au positivisme qu’au matérialisme historique. Malgré leurs différences, il considère que ces deux théories philosophiques conduisent à une vision téléologique de l’histoire humaine, qu’elles offrent une ‘garantie’ en nous projetant dans un futur dans lequel nous pourrions contrôler notre destin. La maxime de Comte, « Savoir pour prévoir, afin de pouvoir », indique que la découverte des lois concernant les changements sociaux permet une prédiction systématique grâce à laquelle nous pouvons nous approprier notre histoire et l’orienter en fonction de nos objectifs. Quant à Marx, pour lui l’ère de ‘l’histoire’, en opposition à la ‘préhistoire’, viendra quand la division de classe, moteur des changements sociaux, sera dépassée.
5. 6. 7. Pour une réflexion plus approfondie sur ce thème, on se reportera, entre autres, aux bonnes pages que consacre à ce thème Luc BOLTANSKI, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009. Cf. Axel HONNETH, « Teoria Crítica », dans Teoria Social Hoje, op. cit, p. 507. Ibid., p. 507 et s.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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