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RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

mise à l’épreuve. La double circularité de l’objet (l’objet qui nourrit l’étude, l’étude qui nourrit l’objet) prend des formes multiples, et lorsque les théories ainsi produites ‘retournent’ dans la sphère sociale, leur caractère inédit disparaît. « Elles relèvent alors du savoir ou du sens commun », nous dit-il 28. Parce que les théories sociales sont directement investies dans la vie sociale, formuler une théorie critique en sciences sociales n’est pas une ‘option’ : les scientifiques de ce champ doivent considérer que les théories, les connaissances et les informations inédites qu’ils produisent ont des conséquences sociologiques et politiques pratiques 29. Et Giddens de préciser qu’après l’effondrement du positivisme et du fonctionnalisme, sa théorie de la structuration, élaborée sur la base d’une ‘critique interne’, a procédé à une évaluation des diverses écoles de pensée permettant du coup une réinsertion de la dimension critique, avec notamment la mise en évidence des aspects liés à la double herméneutique. Cette théorie a été proposée dans l’espoir d’être utile à un temps où l’on osait à peine parler de théorie critique, et de mieux correspondre à notre époque. À la fin du XXe siècle, en effet, le marxisme en tant que modèle de pensée se voit disqualifié, et la théorie économique classique, cible de critiques de Marx, reprend le dessus à l’aide d’innombrables innovations techniques 30. Il y a là un paradoxe. D’une part, l’abandon des modèles historiques qui avaient compté et exigé un engagement – peut-on parler de la ‘fin des idéologies’ ? – provoque la stagnation de la pensée critique. D’autre part, on voit l’engagement individuel et collectif arriver à son paroxysme dans la mesure où il y a une « intrusion spectaculaire du projet humain dans l’histoire », selon les mots mêmes de Giddens 31. L’action sociale, qu’elle soit individuelle ou collective, prendra la forme ‘d’expérimentations quotidiennes’ dont les résultats sont incertains. La théorie de la structuration, on l’a vu, mettra l’accent sur ces aspects. Cette incertitude, toutefois, ne signifie pas l’entrée dans l’ère de la postmodernité : elle marque plutôt une ère de changements, un temps de l’histoire qui donne une ‘sensation de vertige’. Une théorie critique de la modernité avancée s’avère dès lors inéluctable 32. Elle doit, selon Giddens, remplir trois conditions : l’une d’ordre épistémologique, une autre d’ordre institutionnel, une dernière, enfin, qui concerne les rapports entre théorie et pratique 33. Au plan épistémologique, la théorie critique doit s’occuper des questions soulevées par l’abandon du ‘fondationnalisme’, autrement dit l’idée qu’on ne peut pas élaborer des connaissances fondées de manière absolue, qu’il est nécessaire de s’appuyer sur l’argumentation ration-

28. 29. 30. 31. 32. 33.

Ibid., eod. loc. Ibid., p. 46. Cf. « Une théorie critique de la modernité avancée », op. cit., p. 30. Ibid., p. 31. Cf. supra ch. 3. Cf. Michel AUDET, « Introduction », dans Structuration du social et modernité avancée, op. cit., p. 4. Voir aussi Anthony GIDDENS, « Une théorie critique de la modernité avancée », op. cit., p. 34.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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