Droit et société - Relire Giddens - 1 - 201

CONCLUSION

marxiste ? On s’interroge alors : comment les juristes peuvent-ils accepter que les normes juridiques, bien qu’ayant une ample portée, n’aient d’impact que superficiel sur la vie sociale ? Comment peuvent-ils concevoir les normes en tant que simples obligations contingentes ? Comment peuvent-ils envisager le droit comme lié à la domination ? Tout cela paraît, évidemment, très problématique. Quant aux sanctions, la distinction opérée par Giddens entre ‘sanction forte’ et ‘sanction faible’ pose également problème. Pour Roger Campione, cette différence ne fait que répéter l’idée de règles formelles et informelles. On ira plus loin : à mon sens, si Giddens affirme, avec pertinence, que les sanctions informelles sont ‘moins organisées’, qu’elles sont des ‘réactions spontanées’ à la non-conformité, et que l’on doit reconnaître leur importance dans les contextes ordinaires des pratiques quotidiennes, l’exemple qu’il donne est vraiment d’une naïveté insoutenable : celui de l’étudiant incommodé par ses collègues de manière narquoise parce qu’il ne veut pas aller faire la fête, mais rester à étudier ! Les études socio-juridiques se sont depuis longtemps intéressées à la question des sanctions informelles qui, appliquées en dehors du droit ou d’un cadre juridique précis, peuvent se révéler être d’un extrême danger. Au Brésil, en l’occurrence, Luciano Oliveira a dénoncé l’existence, dans les couches les plus défavorisées de la population, d’une violence fondée sur l’envie d’un ‘assainissement répressif’ 61 qui se traduit par l’application de sanctions informelles. En Amérique latine, en effet, dans les années 1970-1980, on a beaucoup parlé de ‘formes alternatives de résolution des conflits’, d’usage ‘alternatif du droit’, termes utilisés par opposition aux pratiques de la ‘justice officielle’. On en a parlé, d’abord avec la fascination qu’a exercée sur les chercheurs l’analyse faite par Boaventura de Sousa Santos de l’existence d’un ‘droit contre le droit’ dans une favela de Rio de Janeiro 62. Pourtant, de ces ‘droits non étatiques’, de ces droits ‘anti-étatiques’, on a vite déchanté après la publication des travaux de Sandra Burman et Wilfried Scharf montrant les méfaits des tribunaux en Afrique du Sud, ou encore ceux d’Eliane Junqueira sur la pénétration du trafic des drogues dans les favelas de Rio de Janeiro 63. Ce qui nous rappelle l’émergence d’un phénomène relative61. Terme utilisé par Luciano OLIVEIRA et Affonso PEREIRA, lorsqu’ils ont traité de la répression populaire au Brésil : « A polícia na boca do povo e a percepção social do combate à violência », CPoli-Fundaj/Ministério da Justiça - Programa Ruas em Paz, Recife, 1986. Cf. aussi Angelina PERALVA, « Violence urbaine, démocratie et changement culturel : l’expérience brésilienne », dans revue Cultures et Conflits, n° 29-30, automne-hiver 1998 (texte intégral en libre accès disponible depuis le 16 mars 2006 sur http://conflits.revues.org/index48.html). 62. Cf. Boaventura de SOUSA SANTOS, « The Law of the Oppressed : The Construction and Reproduction of Legality in Pasargada », dans Law and Society Review, vol. 12/1, 1977, version revue et abrégée de Law against Law : Legal Reasoning in Pasargada Law, Cuernavaca (Méxique), 1974. 63. Cf. Sandra BURMAN and Wilfried SCHARF, « Creating People’s Justice : Street Committees and People’s Courts in a South African City » dans la Law and Society Review, 24/3, 1990, p. 693-744 ; Jean-Pierre BONAFÉ-SCHMITT, Sandra BURMAN, Wanda CAPELLER, Christine HARRINGTON, Eliane BOTHELO JUNQUEIRA, Wilfried SCHÄRF, v° ‘Alternatif’, dans Dictionnaire encyclopédique de Théorie et de Sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd., 1993.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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