Droit et société - Relire Giddens - 1 - 23

INTRODUCTION

Merton, Goffman 22, avec leurs modèles d’action et de l’agencement des institutions, ne laissent en rien présager une attitude radicale 23. Comment saisir la pensée de Giddens, son action politique ? British style, ‘Britannique comme une bonne tasse de thé’ 24, il est un pur produit de la culture politique et scientifique anglo-saxonne. Il va même jusqu’à s’interroger sur les rapports entre les sciences sociales et l’identité britannique 25. La question de la ‘britannicité’ (‘Britishness’), qui renvoie à la construction des identités nationales, avait envahi, depuis les années 1970-1980, les débats historiographiques et politiques britanniques 26. Giddens prend part à ce débat, affirmant que la Grande-Bretagne est une ‘communauté imaginaire’, une ‘invention rétrospective’, un ensemble de symboles destiné à créer une unité qui n’a pas existé. Pour lui, le concept de Britishness a toujours été ambigu, il n’est qu’une formule destinée à cacher les fissures d’un État parvenu à son apogée grâce à la constitution d’un empire extérieur 27. Sur les sciences sociales britanniques, influencées par ce qui venait d’ailleurs, cela a eu un impact, sans pour autant décloisonner les esprits. Thomas Hobbes et John Locke sont reconnus comme fondateurs de la science politique moderne, mais cette dernière, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, a été marquée par la pensée continentale. L’économie politique dominante à l’époque où s’affirmait la révolution industrielle, celle par exemple d’Adam Smith, avait des caractéristiques écossaises. L’anthropologie, qui a occupé une place privilégiée dans ce pays, ne parle que d’altérité. L’Empire Britannique, dans son expansion, s’est confronté à l’Autre, voulant le domestiquer. Des anthropologues, tels que James Frazer et Edward Tylor, ont essayé de défendre les cultures non occidentales contre l’étroitesse de l’esprit anglo-saxon, « naïf » et « hostile » 28. Si l’anthropologie anglaise avait une relation complexe avec l’Empire, elle était

22. Cf. Anthony GIDDENS, In Defence of Sociology. Essays, Interpretations & Rejoinders, Cambridge, Polity Press, 1996. On utilise ici la traduction portugaise de Roneide Venancio Majer et Klauss Brandini Gerhardt, Em defesa da sociologia. Ensaios, interpretações e trépiclas, São Paulo, Editora UNESP, 2001, p. 11 et s. En Espagne, au Portugal, et jusqu’au Brésil, on trouve un grand nombre des livres et textes de Giddens traduits, qui ne le sont pas en français, ce qui témoigne de l’intérêt particulier de la communauté des sciences sociales ibérique et lusophone, pour les travaux de cet auteur. 23. Nous pouvons témoigner ici, a contrario, qu’en Amérique latine, dans ces années-là, les thèses marxistes ont resurgi en force avec les travaux d’Althusser, de Poulantzas et autres. Ceux qui assumaient leurs héritages positivistes et fonctionnalistes étaient farouchement attaqués. 24. Cf. GIDDENS, In Defence of Sociology. Essays, Interpretations & Rejoinders, op. cit. Cf. Em defesa da sociologia, op. cit., p. 161. 25. Ibid., eod. loc. 26. Un Rapport de la Commission sur l’avenir de la Grande-Bretagne multiethnique, cautionnée par le gouvernement britannique, dénonçait, en 2000, la mobilisation du concept de ‘britannicité’ en raison de ses connotations racistes. Selon ce Rapport, le caractère de ‘société multiculturelle’ devait être officiellement reconnu au pays, dont l’histoire avait besoin d’être révisée. 27. GIDDENS, In Defence of Sociology…, op. cit. Cf. Em Defesa da Sociologia, op. cit., p. 162. 28. Ibid., p. 163.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011
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