Droit et société - Relire Giddens - 1 - 35

LA SOCIOLOGIE, UNE DISCIPLINE SOUS TENSION

terme ‘herméneutique’, notamment dans sa thèse de la ‘double herméneutique’ 39. À ce propos, Jean Nizet affirme que Giddens a choisi son camp, qu’il s’inscrit clairement dans la tradition interprétative, notamment lorsqu’il soutient que « toutes les sciences sociales sont irrémédiablement herméneutiques » 40. Il s’en défendra fortement, assumant une posture à la fois post-structuraliste et post-actionniste. On parlait plus haut d’une tension inhérente à la sociologie. Cette tension du champ sociologique – on se permettra ici d’utiliser le concept bourdieusien de ‘champ’ –, a été longtemps la conséquence de l’affrontement entre deux pôles qui ont coexisté : l’un de la sociologie structurelle, l’autre des sociologies interprétatives. Cela a tenu la sociologie en berne ; elle a même manifesté un ‘chauvinisme disciplinaire’, phénomène connu dans l’Université 41. De ces amarres profondément ancrées dans une pensée élaborée deux siècles auparavant, il était temps de se libérer. De surcroît, un troisième facteur est venu s’ajouter à ce champ de tensions : dès la fin des années 1950, des théoriciens avaient repéré des mutations au sein des sociétés industrielles développées qui commençaient à présenter des traits les distinguant des sociétés industrielles classiques. L’idée selon laquelle le monde occidental était en train de parvenir à un nouveau stade de son histoire se dessinait par rapport à trois axes d’analyse en sciences sociales : celui de la ‘société post-industrielle’, celui sur l’impact des nouvelles technologies sur la réalité sociale, et celui de la post-modernité. Pour mieux comprendre ces mutations et répondre aux tensions de la sociologie, Giddens intègre, dès ses premières lectures de la société, des thèses innovantes pour une sociologie de l’avenir. Déjà présentes dans sa réflexion passée, ces thèses pour une sociologie du futur lui ont permis d’ouvrir la voie à de nouvelles explications sur les inquiétudes du passage d’un monde à l’autre.

1.2 – Back to the future ?
Ainsi, dès le départ, la sociologie de Giddens est-elle une sociologie du futur. Mais c’est seulement en 1987 que, dans son livre Social Theory and Modern Sociology 42, il revient, de façon plus formalisée, aux neuf thèses qui ont orienté sa réflexion. La première thèse est celle de la nécessité, pour la sociologie, de se débarrasser – un déblayage nécessaire et progressif –, des résidus de la pensée sociale des XIXe et XXe siècles. En effet, les sciences sociales, dans leur volonté de savoir si la modernité était le résultat de l’expansion du capitalisme ou de l’industrialisme, ont été profondément pénétrées par l’idée que les forces dynamiques du monde moderne sont notamment d’ordre économique et que les
39. Sur laquelle on reviendra infra, dans ce même chapitre, à propos de l’analyse du volet méthodologique. 40. Cf. New rules of sociological method, op. cit., p. 13. Cf. Jean NIZET, La sociologie de Anthony Giddens, op. cit, p. 26. 41. Social Theory and Modern Sociology, op. cit., p. 1. 42. Ibid., p. 22 et s.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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