Droit et société - Relire Giddens - 1 - 36

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

changements sont d’ordre infrastructurel. Or, dit Giddens, la modernité présente des aspects beaucoup plus complexes que le seul impact du capitalisme et de l’industrialisme dans le monde social. Ainsi la sociologie doit-elle se débarrasser de ce réductionnisme économique ; elle doit également reprendre d’autres thèmes majeurs, comme ceux de l’accroissement du pouvoir administratif 43, de l’organisation de l’information (‘l’ère de l’information’ n’est pas particulière à la fin du XXe siècle, les sociétés modernes ayant été toujours des ‘sociétés informationnelles’), et du pouvoir militaire. La sociologie a gardé du XIXe siècle, en effet, l’idée que le capitalisme et l’industrialisme se sont substitués aux sociétés militaires des temps qui ont précédé, et que les transformations économiques de cette époque pourraient mener la société moderne au pacifisme. À l’exception de celles qui ont été développées dans le domaine des relations internationales, les études en sociologie ont occulté l’alliance entre les États, le pouvoir militaire et les guerres. Or, la désagrégation des sociétés traditionnelles, de par l’impact de la modernité, ne fut pas uniquement la conséquence du capitalisme et de l’industrialisme, ou encore de la concentration de ressources administratives par les États modernes : cela fut plutôt l’effet d’une conjonction entre ces facteurs et les significations modernes de l’usage de la force militaire et de la guerre. La sociologie ne peut plus ignorer cela. Par ailleurs, en dépit de la pensée de Max Weber qui prôna l’indépendance des ‘idées’ par rapport aux conditions d’émergence du capitalisme, la dimension culturelle de la modernité fut conçue comme un reflet du capitalisme et de l’industrialisme. Les controverses sur la post-modernité peuvent être vues comme des tentatives de redessiner l’univers culturel issu de la désintégration du monde traditionnel. Arracher la sociologie des cadres imposés par la pensée du XIXe siècle signifie abandonner l’idée qu’une critique incessante du marxisme est susceptible de revitaliser la sociologie ; celle-ci, à l’avenir, ne peut pas se restreindre à ce débat 44. Une deuxième thèse est celle de l’élaboration d’une synthèse théorique, afin de donner une nouvelle cohérence aux débats sociologiques. Les courants issus du schisme du consensus parsonien, auquel on s’est référé plus haut, ont mis en valeur la subjectivité, en réaction contre la priorité donnée au déterminisme structural ; mais ces approches ne furent pas universalisées – les structuralistes continuaient à ‘décentrer le sujet’ –, et n’ont constitué que des versions concurrentes de la théorie sociale. Cela appartient désormais au passé. La sociologie doit se renouveler en opérant une synthèse théorique. Ainsi ne sera-t-elle plus purement interprétative, la vie sociale n’étant pas uniquement le produit des agents sociaux eux-mêmes ; et si elle continue à rejeter les explications déterministes, elle ne sera plus aveugle aux contraintes institutionnelles. Structure et action formeront, conjointement, les conditions de production et reproduction du monde social. Cette thèse, comme on le verra, est aux fondements de sa théorie de la structuration.
43. Magistralement analysé par Foucault, selon Giddens. On reviendra sur ces aspects dans le ch. 2. 44. Social Theory and Modern Sociology, op. cit., p. 26-29.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

Droit et société - Relire Giddens - 1

Table des matières de la publication Droit et société - Relire Giddens - 1