Droit et société - Relire Giddens - 1 - 39

LA SOCIOLOGIE, UNE DISCIPLINE SOUS TENSION

un faisceau d’institutions formant un système : la ‘société civile’. La ‘société’, telle qu’elle est définie disciplinairement, est depuis ces temps-là conçue comme la société civile. Il est difficile de transcender les divisions disciplinaires et d’altérer l’organisation actuelle des sciences sociales. Toutefois, on constate que l’anthropologie est en train de devenir une sorte d’histoire culturelle spécialisée, ce qui la rapproche des préoccupations spécifiques de la sociologie. Déjà les sciences politiques et l’économie ne seront pas absorbées par la sociologie, même si ces divisions traditionnelles sont fortement mises en cause. Concernant particulièrement la science politique, on voit qu’elle a ses propres tensions et ses propres problèmes. Il devient cependant de plus en plus difficile de faire la part entre science politique et sociologie politique : si elles ne peuvent être confondues, c’est simplement parce que la distinction entre gouvernement et politique est si forte et a tant d’importance et d’influence sur la vie sociale prise comme un tout, que chacun de ces termes nécessite une attention toute spéciale et spécifique. Pas question, ici, pour les sociologues, de prendre une attitude impérialiste 48. Dans une sixième thèse, Giddens soutient que les sociologues doivent redévelopper un centre d’intérêt à large échelle, des processus à long terme de transformation sociale. Il y affirme que la sociologie s’est beaucoup tournée vers la recherche empirique comme réaction aux guerres de rivalité entre conceptions théoriques divergentes – Wright Mills parlait de ‘mindless empiricism’ 49. Giddens trouve plus important, encore, l’appel au ‘theory-building’ de Merton, qui fut à l’origine des réactions à ce qui était perçu comme l’effort ambitieux des fondateurs de la sociologie pour produire des théories générales de transformation sociale 50. Mais le monde étant aujourd’hui de plus en plus défini par son caractère totalement ‘systémique’, la sociologie devra réévaluer la relation entre l’étude à petite échelle, d’un côté, et à grande échelle, de l’autre. Ceux qui travaillent dans des contextes d’interaction immédiate sont souvent sceptiques quant à la réalité de formes plus inclusives d’organisation sociale ou de types de changement social. Et ceux qui sont préoccupés par des ordres institutionnels plus larges tendent à délaisser le travail de microsociologie, considéré comme trivial. On peut être réservé à l’égard, à la fois, du theory building et de l’idée que l’intérêt premier de la théorie en sociologie puisse être la construction de généralisations en ce qui concerne le monde social. En fait, le couplage de l’innovation conceptuelle à la recherche empirique est fondamental en science sociale. Bref, les défis de la sociologie seront perdus si on ne cherche pas à répondre à des questions telles que : comment pourrait-on au mieux caractériser la mo48. Ibid., p. 37-41. 49. C. WRIGHT MILLS, L’imagination sociologique, Paris, Maspero, 1968. Cf. notamment le ch. 3, « L’empirisme abstrait », et, plus précisément, p. 67-68, les quatre reconversions proposées dans le travail des chercheurs. Cf. GIDDENS, Social Theory and Modern Sociology, op. cit., p. 42. 50. Robert K. MERTON, Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, A. Colin/Masso, 1997, « Introduction », notamment p. 15 et s. ; sur l’importance des paradigmes qui « sont destinés à aider le sociologue à faire son métier », cf. p. 18-20. Cf. GIDDENS, loc. cit.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

Droit et société - Relire Giddens - 1

Table des matières de la publication Droit et société - Relire Giddens - 1