Droit et société - Relire Giddens - 1 - 58

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

tive de la tradition de la ‘grande théorie’ 135, du ‘grand récit’, qui revendique un pouvoir d’élucidation global 136. On l’accuse, en effet, d’éclectisme. Il s’en défend : souligner l’importance de la synthèse théorique ne signifie pas nécessairement tomber dans un quelconque ‘éclectisme’. Le décentrement du sujet n’implique pas l’évaporation de la subjectivité. La reconnaissance du ‘tournant linguistique’ (issu de la phénoménologie herméneutique et de la philosophie du langage ordinaire), n’est pas trompeuse ; elle permet une conception innovée de l’interaction entre le ‘dire’ (ou le signifiant) et le ‘faire’, ce qui conduit à une conception neuve de la praxis 137. Au fondement de la théorie de la structuration, on trouve l’idée que la motivation débouche sur la praxis 138, plus précisément que la motivation suppose la prédominance d’une forme routinière de la praxis dans la vie sociale 139. Sa conception de la motivation est également critiquée, car fort provocatrice en ce qu’elle soutient qu’une bonne partie des conduites quotidiennes ne sont pas directement motivées. Pourquoi alors les acteurs sont-ils tellement investis dans leur vie de tous les jours ? Pour lui, la motivation première de la conduite est une relation primordiale entre l’angoisse et la sécurité ontologique. Sur ce sujet, Ira Cohen dit avoir une ‘réaction ambivalente’ : d’une part, le lien établi par Giddens entre ‘motifs inconscients’ et accomplissement des routines peut se révéler important pour la solution du problème de la motivation ; d’autre part, l’idée que la conduite quotidienne puisse manquer de motivation directe n’est pas recevable. Dans son texte intitulé « La sécurité ontologique, la face sociale et la question de la motivation dans la théorie de la structuration », cet auteur montre comment Giddens a omis toute une gamme de motifs fondamentaux du comportement social, motifs qui font partie de la ‘conscience de soi’ de l’acteur, de son attachement affectif à la ‘face’ qu’il présente en public 140. Il s’accorde avec Giddens, néanmoins, sur le fait que les motivations sont historiquement spécifiques 141. On trouvera, éparpillées, des critiques concernant plusieurs aspects de sa pensée. David Held et John Thompson ont eu le soin d’en réunir quelques-unes, en 1989, dans un ouvrage intitulé Social theory of modern societies. Anthony
135. Cf. Jean-Michel BERTHELOT, « Programmes, paradigmes, disciplines : pluralité et unité des sciences sociales », dans Épistémologie des sciences sociales, Paris, PUF, 2001, p. 513. 136. Ibid., p. 476. 137. La constitution de la société, op. cit., p. 32. 138. Cf. Claude BARITEAU, « Déterminants ontologiques, contraintes sociales et discontinuités peuvent-ils faire bon ménage ? », dans Michel AUDET et Hamid BOUCHIKHI, Structuration du social et modernité avancée…, op. cit., p. 449. 139. Cf. Ira COHEN, « La sécurité ontologique, la face sociale et la question de la motivation dans la théorie de la structuration », op. cit., plus précisément p. 418. L’auteur montre que, sur la motivation, Giddens critique les thèses de Goffman, qu’il estime insuffisantes. Il s’inspirerait plutôt des travaux de Garfinkel (Ibid., p. 416-417). 140. Ibid., p. 409-410. Ce qui correspond à l’importance donnée par Giddens à la routine et la reproduction dans la praxis sociale (p. 418). 141. Cf. Anne MESNY, « Motivation, face sociale et identité de soi. Compte rendu de discussion », dans Michel AUDET et Hamid BOUCHIKHI, Structuration du social et modernité avancée…, op. cit., p. 452.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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