Droit et société - Relire Giddens - 1 - 60

RELIRE GIDDENS. ENTRE SOCIOLOGIE ET POLITIQUE

Derek Gregory 150, de son côté, entame une discussion sur la notion de spatialité temporelle, et notamment la façon dont l’espace et le temps ont été intégrés dans la théorie de la structuration. Il signale que, sur ces questions, l’approche de Giddens ne prend pas en compte des auteurs tels que David Harvey, Manuel Castels et Henri Lefebvre, auteurs pourtant importants en la matière. Ainsi la conception giddensienne de l’espace, en termes de présence/absence, n’intégrerait pas ce que ces auteurs ont nommé la ‘production de l’espace’, l’expression incluant, à la fois, la production matérielle des structures spatiales et la production de la représentation de l’espace. Par ailleurs, Giddens, dans son analyse de la distanciation spatio-temporelle, met l’accent sur les aspects liés au pouvoir et à la domination, laissant de côté les significations symboliques et normatives de l’espace et de ses représentations, notamment celles de la codification de l’espace à travers la production et la lecture des cartes géographiques. Cela rejoint, sur certains points, l’analyse de Peter Saunders qui, en traitant de la sociologie de l’espace urbain 151, s’interroge sur les raisons qui mènent Giddens à placer ces notions au cœur de la sociologie, concluant : « his work does not establish the case for the centrality of spatial concepts to sociological theory » 152. Giddens rappelle à ces auteurs que ces questions doivent, primordialement, être mises en rapport avec sa notion de ‘sécurité ontologique’ 153. Sur le temps et l’être social, d’autres objections se profilent. On retiendra, en particulier, celle de Patrick Baert, lorsqu’il traite des éléments du ‘consensus nouveau’ qui, en sociologie, s’est, dans les années 1970, installé à la place du ‘consensus ancien’, permettant le rapprochement des différentes perspectives théoriques 154. Il trouve là des faiblesses concernant l’analyse du temps : comme d’autres, Giddens ne tient compte du temps que dans la mesure où il révèle la reproduction sociale. En fait, les partisans de ce consensus refusent la fusion entre temps et changement à laquelle s’attachaient les fonctionnalistes ; ils vont toutefois vers l’autre extrême en proposant un modèle récurrent de la société. À force d’insister sur la production, parfois inconsciemment accomplie, de la stabilité dans le temps, ces auteurs retombent sur une vision hobbesienne de l’ordre. S’ils proposent une réponse différente au ‘modèle d’intégration par les normes’ des fonctionnalistes, ils reviennent à la question : « comment naît l’ordre social » 155 ? On évoquera encore l’abandon, dans la théorie de la structuration, de l’analyse de la discontinuité. À ce propos, Claude Bariteau, se demande si, im150. Cf. Derek GREGORY, « Presences and absences : time-space relations and structuration theory », dans David HELD et John B. THOMPSON (dir.), Social theory of modern societies…, op. cit., p. 185-214. 151. Cf. Peter SAUNDERS, « Space, urbanism and the created environnement », eod. loc., p. 215248. 152. Ibid., p. 215. 153. Cf. David HELD et John B. THOMPSON, « Editor’s introduction », op. cit., p. 9. 154. On se référera à ce ‘consensus nouveau’ infra, dans le ch. 2, lors de l’analyse des rapprochements possibles entre Giddens et Bourdieu. 155. Voir Patrick BAERT, « Le temps et l’être social », dans Michel AUDET et Hamid BOUCHIKHI, Structuration du social et modernité avancée…, op. cit., p. 183-195, et notamment p. 187-188.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 55, 2011

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